Tombouctou : Une caravane de la paix à Goundam pour prévenir des conflits intercommunautaires

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22 avril 2015

Tombouctou : Une caravane de la paix à Goundam pour prévenir des conflits intercommunautaires

La « caravane de la paix » a sillonné le cercle de Goundam, du 14 au 19 avril dernier. Partie de la ville de Goundam, elle a traversé 20 villages de 11 communes sur les 16 que compte le cercle : de Bintagoungou, M’Bouna, le village d’Echell dans la commune de Tonka à Douékiré. Cette initiative des élus de Goundam, est conduite par le chef de la Tribu des Kel Antessar, M. Abdoul Magid Ag Mohamed Ahmed dit Nasser, également président de la commission d’organisation.   

 

« Si nous avons organisé cette caravane, c’est pour mettre fin à un problème qui risque de provoquer un conflit inter et intra-communautaire. Entre les communautés, il y a des suspicions car chacun pense que c’est l’autre qui est responsable du banditisme résiduel dans le cercle. Suite à l’interpellation des communautés des Tamasheq noires, nous avons donc décidé de faire cette caravane en associant des communautés sédentaires et nomades », a déclaré M. Abdoul Magid Ag Mohamed Ahmed dit Nasser, l’Amenokal des Kel Antessar.

 

En effet, cette « caravane de la paix » visait à sensibiliser les différentes communautés de Goundam sur le vivre-ensemble, la cohésion sociale pour le retour à la confiance entre les communautés Sonrhaï, Tamasheq, Arabes, Peulhs, Bozos et Dogons vivant dans le cercle. Cette initiative a été prise pour freiner la dégradation de la situation sécuritaire sur les axes routiers menant vers les villes, les villages, ainsi que les marchés devenus de plus en plus dangereux, en raison des attaques perpétrées par des individus armés qui pillent et vols, les biens des forains et d’autres populations.

 

En plus des 32 caravaniers venus de Bamako dont les deux députés élus du cercle de Goundam, Messieurs Oumar Traoré et Mohamed Ould Sidi Mohamed, des quatre femmes leaders d’organisations issues des communautés Sonrhaï, Tamasheq et Peulhs, des notabilités Goundamiennes, se sont joints à la caravane,  le président du conseil de cercle de Goundam, les maires des 16 communes du cercle, les Chefs de villages, des leaders religieux, des chefs de fractions et des communicateurs traditionnels.

 

« Cette insécurité est venue avec la rébellion. Toutefois, sous l’occupation, on n’a pas connu le banditisme parce que les bandits avaient peur des occupants. Ces derniers ont été chassés par les forces, donc le terrain est laissé aux bandits qui sont partis forcément avec des armes et désormais personne ne peut bouger » a expliqué le président du conseil de cercle de Goundam, Talfi Ag Hamma.

 

De son côté, Azarock Inaborchad, notable de Goundam et rapporteur de la commission d’organisation de la caravane, met cette insécurité sur le compte « du vide absolu du territoire laissé par l’administration et les services de défense et sécurité et même des populations autochtones. Ce vide est occupé par le banditisme qui est pratiqué par des individus qui ne sont pas forcément en dehors des communautés qui sont parfois elles-mêmes victimes », a-t-il avancé.

 

Un appel pour la reprise des actions humanitaires

Au cours des échanges avec les caravaniers, les maires et les chefs de villages ayant pris la parole ont exprimé leur indignation face à la montée de l’insécurité. Ils ont déploré les difficultés éprouvées par les organismes humanitaires à apporter de l’aide aux populations, par crainte de se faire attaquer.

 

A Echell, le Chef de village, Hamadoun Ag Indiata a exposé les problèmes auxquelles les populations font face. Notamment, l’inaccessibilité à l’eau potable. « Les actes de banditisme empêchent les humanitaires d’accéder à nos villages. Les bandits ont fini de voler nos biens, ils commencent maintenant à enlever nos filles et nos femmes », a-t-il  déploré. Ce village de la commune de Tonka, selon M. Indiata, regroupe les chefs de villages de 23 autres avoisinants, y vivant avec leurs populations. Tous étaient présents à la caravane de la paix.

 

La caravane de la paix a permis d’aborder les problèmes d’insécurité sur les axes routiers empruntés pour les foires hebdomadaires, tels que Echell-Faguibine, Goundam-Tonka, la zone autour du lac Faguibine et de Goundam-Tombouctou jusqu’à Almachra-Acharane. Selon le Chef de la Tribu des Kel Antessar, les partenaires humanitaires ont des difficultés à circuler dans le cercle, surtout dans sa partie Nord et Nord-ouest.

 

Au niveau des autorités religieuses, le constat n’a pas été différent. Aussi, les imams de Goundam, de Bintagoungou, de M’Bouna, d’Echell et de Douékiré, ayant embarqué à bord de la caravane, ont lancé des messages de tolérance, de loyauté, de paix et d’entente entre les communautés.

 

Le Gouverneur de la région de Tombouctou, M. Adama Kansaye, accompagné du Président du conseil de cercles, M. Mohamed Ibrahim, ont participé à la restitution de la caravane de la paix, le 19 avril dans la salle de réunion du centre multifonctionnelle des femmes de Goundam. « Les actions humanitaires sont arrêtées pendant que les populations restent toujours confrontées aux problèmes d’eau potable, de logement en raison de cette insécurité. La mission de la caravane a su instaurer un dialogue franc entre les communautés et rétablir la communication entre les acteurs locaux. Il nous revient donc de contribuer à la consolidation de cet acquis », a déclaré le M. Kansaye.

 

Un plaidoyer pour la signature d’un accord de paix

« La paix, signons la paix, nous voulons la paix ! », telle est l’acclamation des populations à l’accueil de la caravane à chacune des étapes. La montée des couleurs maliennes a démarré les cérémonies d’ouverture de la caravane à Bintagoungou, M’Bouna, Echell et Douékiré, au rythme de l’hymne national entonné en cœur entre autre par des élèves, des jeunes, des femmes. « Une façon d’insister sur l’unité, la cohésion sociale et l’attachement des populations au caractère indivisible du pays », a fait savoir le Maire de Douékiré, Oumar Abocar Touré, également point focal de la commission d’organisation et maitre de cérémonie de la caravane à Goundam.

 

Tout le long du parcours, de Bintagoungou à Douékiré, les séances de sensibilisation avec les populations ont porté sur les thématiques de la cohésion sociale, la tolérance et le pardon, le vivre ensemble, les conditions nécessaires et suffisantes pour faciliter l’effectivité du vivre ensemble, le rôle des leaders de la communauté dans le retour de la confiance entre les composantes de la population, la consolidation de la paix et sa pérennité, le lien entre la paix et le développement ainsi que le lien entre le manque de sécurité et l’accès à l’aide humanitaire. « Par rapport à ce problème brûlant, il n’y a pas meilleure solution que la caravane. L’insécurité peut-être aussi les paroles d’incitations à la violence. Si chacun parle de manière franche à sa communauté pour se faire écouter, on ira vers la paix », a dit Baba Ould Sidi Mohamed, Maire de la commune de Tilemsi.

 

En marge des séances de sensibilisation, les caravaniers ont facilité la tenue de « focus groupe » dans le cadre du rapprochement des communautés. Notamment la rencontre à Bintagoungou entre les communautés d’Essakane ; à M’bouna entre les communautés de Tinaïcha ; à Goundam, il y a eu une entrevue entre les Arabes et Tamasheq ; ainsi qu’une visite de la caravane au village de Dibla. « La mission de la caravane est d’expliquer aux populations qu’il ne pas faire d’amalgame. Il faut éviter de s’accuser mutuellement et en venir à un affrontement entre communautés sœurs. C’est ce danger que nous voulons prévenir en attendant que les accords d’Alger soient effectifs », a insisté l’ancien député du cercle de Goundam, Alassane Ag Abba.

 

Les chefs de fractions, de villages et certains membres des communautés des zones avoisinantes des communes visitées par la caravane y ont pris part également. « Nous adhérons pleinement à cette caravane pour redonner à notre patrimoine toutes ses valeurs de cohésion sociale et d’humanisme. En traversant le pont de Goundam dans toute sa sècheresse hydraulique, je vous prie de comprendre que vous laissez une population qui a soif d’une caravane de justice, de vérité, du pardon et de la réconciliation. Nous devons mettre fin à nos égarements et conjuguer nos efforts pour reconquérir le vivre-ensemble, gage de la paix et du développement », a exhorté le chef de village de Goundam,  Abdoulaye Ababa Cissé.

 

Une délégation représentant les réfugiés maliens à M’Bera en Mauritanie, a rejoint la caravane à Echell dans la commune de Tonka. « Les 53,000 réfugiés à M’Bera sont prêts à revenir dès qu’il y aura la signature d’un accord de paix  pouvant mettre sous contrôle de l’Etat les armes relâchées dans la nature », Ahmed Ag Hamama, professeur d’enseignement fondamental, actuel refugié à M’Bera.

 

La plus forte mobilisation fut donc à Echell, avec plus d’un millier de personnes ; plus de 200 personnes à Bintagoungou ; à M’Bouna au moins 500 et Douékiré a aussi avoisiné un millier. « Sans aucune intention politique, nous voulons apporter notre part à la réconciliation et à la paix. C’est un engagement que le cercle de Goundam prend devant l’histoire pour servir d’exemple. Nos frères et sœurs  qui sont au camp des refugiés nous ont tous dit qu’ils sont consentants, si la signature de l’accord d’Alger ne tenait qu’à eux, la paix serait revenue », a conclu Alassane Ag Abba, lors de la synthèse.

 

A la lumière des constats et des échanges avec les populations, les caravaniers ont formulé, entre autres, les recommandations suivantes :

 

  • le retour de l’administration et des services techniques ainsi que la réhabilitation des infrastructures des services sociaux de base,
  • l’accélération de la signature d’un accord de paix pour entamer le processus de cantonnement et de démobilisation des personnes armées
  • la réparation immédiate des réseaux de téléphonie mobile dans toutes les communes pour faciliter la communication interpersonnelle et intercommunautaire
  • le regroupement d’un peloton chargé de la sécurité sur les axes Tombouctou-Goundam et tous les axes libres servant de porte d’entrée au banditisme armés.
  • la réhabilitation des autorités traditionnelles dans la gestion et la gouvernance locale
  • l’apport d’une assistance rapide en vivre et en aliment bétail pour les populations du cercle dangereusement exposée à l’insécurité alimentaire et au manque de pâturages.
  • la restitution par les maires dès leur retour de la caravane, dans leurs localités respectives ainsi que la tenue d’une session extraordinaire sur le thème paix et cohésion sociale suivant l’esprit de la caravane en vue de mettre sur pied des cellules de veille et de suivi des recommandations de la caravane.

Sur toute la durée de la caravane, la traduction des messages a été faite en Tamasheq, Sonrhaï, Arabe et Peulh, les principales langues parlées dans le cercle de Goundam. Selon le président de la commission d’organisation, M. Abdoul Magid dit Nasser, la caravane tournera dans les zones exondées de Goundam en juin prochain.

 

 « Ce n’est pas une balade que nous venons de faire. Il faut bien gérer la situation post-caravane, la paix doit revenir après » Mme Maiga Aissa Alassane Touré, coordonnatrice de la branche nord du mouvement des femmes pour la paix et la réconciliation nationale. Tandis que Mme Belkiss Walet Mohamed Aly Al Ansari, originaire de Gargando, princesse de la Tribu des Kel Antessar a appelé ses sœurs maliennes « De Kidal à Kayes, nous vous invitons à quitter les ménages pour des caravanes d’échanges, de concertation et de solution pour identifier les grands maux de la nation malienne ensemble ».

 

Le ministère de la réconciliation nationale et celui de la défense au Mali, la coopération française et celle allemande ont supporté cette « caravane de la paix ». La MINUSMA, a pour sa part, coordonné la sécurisation de la caravane, aux côtés des Forces de Sécurité maliennes.