Le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix Monsieur Hervé Ladsous rencontre la presse

19 mars 2017

Le Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix Monsieur Hervé Ladsous rencontre la presse

Bamako, 18 mars 2017

ASG Hervé Ladsous : Bonsoir mesdames et messieurs, merci de cette occasion de me rencontrer ; je sais que c’est un samedi soir, je sais que ce n’est pas terrible comme date, mais ça se trouve comme ça.

J’ai souhaité, avant d’achever ma mandature aux Nations Unies, venir prendre congé du Mali qui m’a, qui nous a, beaucoup occupé ces dernières années. C’est l’occasion de faire le point avec le Gouvernement malien, avec une série de ministres, avec le Haut représentant du Président de la République, avec le Président Keita lui-même, sur le point que nous avons atteint et sur tout ce qu’il reste à faire. C’est aussi l’occasion de présenter mon successeur, qui prendra la relève le 1er avril.

Vous le savez, pendant longtemps, nous avons trouvé que le processus de mise en œuvre des accords de 2015 n’avançait pas suffisamment, et pas suffisamment vite. Depuis cette année, il y a eu une série d’annonces qui montrent qu’enfin les choses bougent et qu’elles bougent dans le bon sens. Nous avons constaté que la réunion de haut niveau du Comité de suivi des accords en février a pris une série de décisions très importantes qui ont commencé à se traduire dans les faits : le déploiement des administrations intérimaires dans le nord, qui est encore un processus en cours, je ne vous l’apprends pas, puisqu’il y a encore Tombouctou et Taoudénit ; mais cela a avancé sur ce point, comme cela a avancé sur le lancement des patrouilles conjointes, qui est quelque chose de très important. Je me souviens que la première patrouille conjointe avait eu lieu en novembre 2015. Je m’étais dit : formidable, mais c’est resté sans lendemain, il ne s’est plus rien passé. Le but de tout cela, c’est d’asseoir la crédibilité de ce processus lancé par les accords de paix, et de montrer aux populations du Mali, notamment dans le nord du pays, que l’Accord de paix se traduit par des dividendes. Des dividendes en termes de stabilisation sur le plan de la sécurité et le fait que ces patrouilles conjointes aient commencé à se déployer est une première indication positive. Les administrations intérimaires, ça signifie le retour de l’État et de tout ce qu’il apporte aux populations aussi en termes de différence du niveau de leurs conditions de vie, d’amélioration des services de base, santé, éducation.

La philosophie profonde de l’intervention des Nations Unies au cours de ces dernières années, ça a été de favoriser et d’aider par tous les moyens le rétablissement de l’état malien dans toutes ses prérogatives sur l’ensemble du territoire, un état républicain, un état démocratique, un état laïc. Et dans tout cela, les Nations Unies sont en appui, en aide et en conseil.

Alors, sur tout cela, nous avons fait le point avec le Président de la République, avec les ministres, en n’oubliant pas les points qui restent, évidemment des points complexes. Maintenant, je crois que la Conférence d’entente nationale va avoir lieu dans pas longtemps et c’est très bien. C’est un élément très important pour montrer là aussi à la population du Mali que les choses évoluent vers un règlement de fond des problèmes qui se posent. Il y a maintenant un travail très important à faire pour faire avancer enfin le processus de DDR, parce que tous ces ex-combattants, il faut voir quelle va être leur place et cela nécessite beaucoup de réflexion et de l’action avant longtemps sur la réforme du secteur de la sécurité : quel va être l’avenir du Mali sur ce plan ?

Dans tout cela, nous sommes là pour aider, appuyer, accompagner toutes les réflexions. Il ne faut pas dissimuler qu’évidemment, la situation sécuritaire globalement reste préoccupante. Nous avons constaté que dans le nord, la situation reste préoccupante et nous sommes beaucoup trop fréquemment attaqués par les groupes armés non-signataires, les groupes terroristes pour les appeler par leurs nom, que cette insécurité s’est déplacée vers le sud, vers le centre du pays, la sécurité dans la région de Mopti est aussi une préoccupation que nous essayons de prendre en compte.

L’élément positif, pendant longtemps, les pays de la région réclamaient une approche régionale et de ce point de vue-là, nous avons commencé à travailler avec le G5 Sahel et avec ses états membres pour essayer de mieux coordonner ce qui est fait à la fois pour davantage contrôler l’action des groupes armés, l’action des trafiquants aussi, et c’est tout un travail qui est engagé pour établir les modalités de l’échange de renseignement et aussi les modalités opérationnelles des actions sur le terrain.

Vous le savez, les Nations Unies, c’est aussi le système des Nations Unies, toutes les agences tous les fonds, tous les programmes, qui continuent à travailler. Et je voudrais rendre un hommage très appuyé au Représentant spécial du Secrétaire général, Monsieur Annadif, et à toute son équipe, et à ses deux adjoints principaux, ils sont là avec lui, vous les connaissez, ils se dépensent sans compter, avec imagination, avec talent, pour être aux côtés de nos amis maliens et les aider. Et c’est là-dessus que j’ai aussi insisté auprès du Président : « le processus est loin d’être achevé mais encore une fois, la période récente a vu des progrès significatifs et il faut tout faire pour continuer à le faire avancer ». Voilà ce que je voulais vous dire en introduction, en ajoutant que le mandat de la MINSUMA va revenir devant le Conseil de sécurité plus tard ce printemps et ce sera, je pense, l’occasion de mesurer le chemin parcouru mais aussi de mesurer le chemin qu’il reste à parcourir, qui suppose une volonté partagée et constante pour continuer d’avancer, parce que c’est une nécessité pour le pays et sa population.

Questions

Journaliste : Monsieur Ladsous, n’avez-vous pas l’impression qu’on a sous-estimé la crise malienne au niveau de l’ONU ou qu’on ne l’a pas prise du bon côté ?

ASG/HL : Qu’on l’ait sous-estimé, je ne le crois pas. La France a été le premier acteur de la communauté internationale à prendre la mesure du problème en lançant en son temps l’opération Serval, succédée par l’opération Barkhane. Ce qui est vrai, c’est que c’est la première fois que nous opérons dans un environnement tel que celui du Mali : c’est un environnement asymétrique, où on nous bombarde d’obus de mortier, de roquettes, d’IED, et cela a un coût considérable. C’est la mission la plus complexe, la plus délicate actuellement, la plus coûteuse aussi en vies humaines, hélas. Il y a des victimes maliennes, l’attaque contre le MOC à Gao l’a montré de manière tragique, mais nous en sommes nous-mêmes à 140 personnes du côté des Casques bleus qui ont été tuées et des blessés aussi en nombre très élevé. Et on ne voit cela vraiment qu’ici seulement au Mali. Et cela appelle des moyens très spécifiques, nulle part ailleurs nous n’investissons autant dans la sécurité de nos personnels. Nous essayons de trouver par tous les moyens, davantage de véhicules blindés, davantage d’hélicoptères, d’aéronefs militaires. Nous investissons beaucoup aussi dans la formation des personnels contre les mines, contre les IED. Ce n’est pas quelque chose qui se produit comme cela d’un coup de baguette magique, hélas. Mais je ne crois pas qu’on puisse dire que cela soit sous-estimé.

La MINUSMA, à certains égards, est un peu un laboratoire pour le maintien de la paix des Nations Unies parce que, devant ces nouvelles menaces qui sont de plus en plus la marque des menaces au 21eme siècle, il faut des moyens spécifiques. C’est la raison pour laquelle nous avons investi pour la première fois dans une opération de Casques bleus dans de telles proportions sur  une politique de renseignement, sur des matériels de haute technologie, des drones de surveillance, des radars de contre-batterie, il faut absolument continuer cela. Je crois que le Conseil de sécurité qui est venu au Mali il y a quelques mois a encore davantage pris la mesure de tout cela. Ce qu’il faut, c’est qu’on progresse sur le processus politique, c’est cela le cœur.

Deux choses. Un, la MINUSMA n’est pas le vecteur de premier rang de l’action antiterroriste, c’est Barkhane, c’est les français. Mais nous opérons dans cet environnement avec tout ce que cela comporte comme risque, nous devons tout faire pour essayer de nous prémunir contre les dangers bien réels qui en découlent. Et puis, je crois que la prise en compte de cette dimension régionale constitue un pas dans la bonne direction parce que les problèmes du nord du Mali sont aussi les problèmes du Sahel. Et que, si tous ces pays ne travaillent pas ensemble, on n’arrivera pas à avancer.

Journaliste : Est-ce que la situation est bloquée au nord pour les autorités intérimaires, dans la région de Tombouctou et Taoudénit ?

ASG/HL : C’est un processus. Il y a des contextes locaux. Il s’agit de quoi au fond ? Il s’agit de postes, il s‘agit de circuits à mettre en place. Donc, qu’il y ait des appétits qui soient aiguisés, je pense qu’on peut le comprendre. Maintenant, c’est à nos amis maliens de trouver les bons compromis. J’ai été très impressionné par l’entretien avec le Haut représentant du Chef de l’État qui vraiment, consacre beaucoup d’efforts à parler avec tout le monde.

J’ajouterais un facteur : cette Conférence d’entente nationale qui doit intervenir prochainement, il faut qu’elle soit aussi inclusive que possible. Je sais que c’est un souci qui est partagé que personne ne se sente négligé même si ce n’est pas facile parce qu’il y a eu une tendance à la fragmentation plus grande encore de certains groupes. Mais, comme je l’ai dit devant vous lors de certains de mes passages précédents, on est de plus en plus au point où il va falloir se compter : qui est du côté de la paix, et qui est contre la paix. Je pense que c’est un processus, mais il faut qu’il aboutisse rapidement, bien sûr.

Journaliste : est-ce qu’une réévaluation du mandat de la MINUSMA pourrait élargir le mandat sur l’aspect contre-terrorisme et notamment sur les filières de narcotrafic ?

ASG/HL : Sur le terrorisme, il faut être très clair. Il y a eu un rapport d’étude sur les opérations de paix des Nations Unies, le rapport HIPPO il y a deux ans, qui a partagé ce qui, selon moi, est une orientation majeure : le maintien de la paix au sens onusien n’a pas vocation à déboucher sur des opérations antiterroristes en tant que telles. Nous opérons dans des milieux dans lesquels opèrent des terroristes, il faut donc se prémunir avec tous les moyens possibles, mais notre mission première n’est pas celle-là.

Pour les trafics en tout genre, il y a les narcotrafics mais il y a aussi les trafics d’êtres humains, les trafics d’armes, tout cela, c’est quelque chose dont il faut analyser les conséquences et c’est vrai que cela contribue à l’évidence à financer beaucoup de réseaux de la mouvance terroriste ; mais nous n’avons pas dans le mandat actuel de mandat exécutif. Ce n’est pas nous qui avons mandat d’arrêter les trafiquants de drogue. Mais, en même temps, nous avons une vraie capacité, et c’est un projet que j’avais lancé moi-même il y a deux ans : doter la MINUSMA, et elle l’est, d’une capacité de formation, de préparation aux tâches vis-à-vis de nos partenaires maliens. Donc, nous formons des agents à la lutte contre le narcotrafic et je crois que cette dimension G5 Sahel va maintenant permettre d’opérationnaliser beaucoup d’échanges de renseignements et d’être beaucoup plus efficace. Mais l’efficacité sera d’abord celle des Forces nationales.

Journaliste : L’administration Trump annonce qu’elle va réduire les fonds alloués à l’ONU, ce qui aura un impact sur les opérations de maintien de la paix. Comment se prépare l’organisation ? Quel impact cela va avoir sur le Mali ?

ASG/HL : Nous avons vu certaines annonces de l’administration américaines mais qui sont des annonces génériques ; donc rien qui permette de conclure que telle opération sera davantage soumise à des limitations ou à des réductions plutôt que telle autre. Je crois que c’est quelque chose que nous allons découvrir progressivement. Nous sommes très à l’écoute de ce qui vient de Washington et je crois qu’il faudra aviser au fur et à mesure que les choses se préciseront.

Journaliste : La zone du centre est en train de devenir une zone sensible ; quels sont les projets de déploiement de la MINUSMA dans le centre ?

ASG/HL : Je crois que c’est quelque chose dont le Conseil de sécurité prend conscience. Nous développons notre présence notamment dans la région de Mopti parce que nous devons notamment appuyer la stratégie multidimensionnelle et intégrée qui a été définie par le Gouvernement malien pour rétablir la sécurité dans la partie centrale du Mali.

Journaliste : Comment vous qualifiez les relations de la MINUSMA avec les autorités maliennes ?

ASG/HL : La vie n’est pas toujours un long fleuve tranquille ; il y a eu certains moments où nous avons eu des différences d’appréciation, mais nous les avons chaque fois surmontés, en en parlant dans la confiance, dans l’amitié, et constater que oui, certaines choses devaient aller davantage, plus vite, plus loin, et c’est ce qui s’est produit. L’an dernier, à plusieurs reprises, j’avais regretté que le processus de mise en œuvre des accords fût extrêmement lent. Maintenant, je crois que les choses bougent et c’est bien. Mais le plus important, c’est que les Nations Unies restent en accompagnement et en appui de nos amis maliens.

Journaliste : Quel conseils vous donneriez à votre successeur, Monsieur Lacroix ?

ASG/HL : J’éviterai de me prononcer sur cette question. Dans l’administration, on dit parfois que votre prédécesseur est un incapable et que votre successeur est un intrigant. Je refuse d’entrer là-dedans. C’est un grand professionnel et je sais qu’il fera son maximum.

Journaliste : Diriez-vous que la crise malienne est davantage une crise politique ou militaire ?

ASG/HL : C’est un problème d’abord politique, qui appelle des solutions politiques. Et c’est vrai de toutes les opérations de maintien de la paix des Nations Unies, même si la partie la plus visible, la plus perceptible, ce sont des Casques bleus, ce sont des policiers, des gens en uniformes. En réalité, toutes ces opérations sont menées dans le but de trouver une solution politique à tous ces problèmes. Et ces problèmes, nous savons ce qu’ils sont dans le cas du Mali, surtout du nord : c’est la non-reconnaissance pendant longtemps d’une réalité qui, pour la première fois, va se traduire par des politiques de décentralisation, de déconcentration, et une meilleure prise en compte des intérêts des populations du nord. Cela demande de l’imagination, cela demande de la constance, cela demande du travail, mais je crois que ça va dans ce sens.

Journaliste : Avez-vous l’impression que les partenaires maliens jouent vraiment le jeu ?

ASG/HL : Je crois que la volonté de jouer le jeu ne peut pas être niée ; mais après, il y a les réalités. C’est vrai qu’il faut que l’armée malienne et les FAMa se redéployent dans le nord. Il faut que l’administration se mette en place, c’est une nécessité. Mais là non plus, ce n’est pas quelque chose qui se fait comme du Nescafé, d’un coup de cuillère à pot. Il faut là aussi du travail, de la constance, mais je ne doute pas que c’est une volonté partagée par le Président et par le Gouvernement.

Journaliste : Quel bilan dressez-vous de votre passage à la tête du Département des opérations, de maintien de la paix, sachant que les missions de maintien de la paix se sont multipliées ? Comment voyez-vous l’avenir ?

ASG/HL : Ce qui compte, c’est le travail, c’est ce qu’on arrive à faire. Ce que j’observe ces jours-ci, c’est que nous sommes en train de fermer l’ONUCI en Côte-d’Ivoire : contrat rempli. Si vous vous souvenez de la situation en 2010-2011, y’a pas photo. On a fait le job en Côte-d’Ivoire. Dans 6 mois ou 8 mois, le Conseil de sécurité devra trancher mais dans un certain délai, on va fermer la mission au Liberia. Et puis, un peu plus tard, dans pas longtemps, on va fermer la mission en Haïti. Donc, vous voyez trois missions où les Nations Unies ont fait la différence. Avant-hier, à New York, on avait le Président Touadéra de Centrafrique. Bon, ce n’est pas parfait en Centrafrique, il y a encore beaucoup des problèmes. Mais là aussi, comparez la situation à Bangui il y a trois ans, là non plus y’a pas photo. Il y a beaucoup de problèmes en provinces, d’ailleurs on essaie de les traiter avec la robustesse voulue, et je pense qu’on arrive à progresser. Encore une fois, le maintien de la paix, c’est un projet politique mais un projet politique que souvent nous avons à gérer de manière croissante alors qu’il n’y a pas de processus de paix. On est parti en Centrafrique alors qu’on était bien avant le forum de Bangui, alors qu’on était bien avant la définition de ce que serait le cadre de sortie de crise, et on peut faire le même constat à propos du Soudan du Sud. Donc, c’est cela la difficulté, mais il faut s’y adapter parce que l’attente est bien réelle, mais en n’ignorant pas qu’on a aussi des succès.  Les statistiques montrent que lorsqu’une opération onusienne a été montée dans un pays en crise, on a 60% de chances de mieux que le pays ne retombe pas dans la crise. 60%, ce n’est pas 100%. Mais c’est quand même mieux que 0. Donc, c’est dans cette perspective que nous nous inscrivons et je veux former le vœu que dans quelques années, nous en serons à ce stade au Mali et que la MINUSMA perdra sa raison d’être parce que les maliens, et je dis bien les maliens eux-mêmes, auront fait tout ce qu’ils devaient faire pour sortir leur pays de cette crise.