Transcript de l'intervention de Madame Zainab Hawa Bangura Lors de la Conférence de Presse hebdomadaire de la MINUSMA.

20 avril 2016

Transcript de l'intervention de Madame Zainab Hawa Bangura Lors de la Conférence de Presse hebdomadaire de la MINUSMA.

Tel qu’indiqué dans l’invitation au Point de presse de cette semaine, nous avons le plaisir d’accueillir comme invitée spéciale aujourd’hui, la Représentante Spéciale du Secrétaire Général chargée de la question des violences sexuelles dans les conflits, Madame Bangura.

 

Elle est arrivée lundi au Mali. Madame Bangura a notamment rencontré le Représentant  Spécial Adjoint du Secrétaire Général pour le pilier politique, Monsieur Koen Davidse ainsi que Madame la Ministre de la Promotion de la Femme, de l'Enfant et de la Famille Madame Oumou Sangaré Ba.

 

Durant la visite de Madame Bangura au Mali, plusieurs rencontres sont planifiées encore cette semaine avec d’autres autorités maliennes pour notamment examiner comment promouvoir la lutte contre les violences sexuelles comme armes de conflits dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation.

 

Madame Bangura 

 

Je vous remercie tous d’être venus ici aujourd’hui. Je suis la Représentante Spéciale du Secrétaire Général des Nations Unies sur les questions de violences sexuelles en période de conflit. J’ai un niveau de Sous-secrétaire Générale. Mon bureau a été créé par le Conseil de Sécurité des Nations Unies pour assurer un leadership cohérent au niveau du système des Nations Unies sur cette question, pour répondre à cette problématique de violences sexuelles en période de conflit.

 

Mon mandat est global. Je travaille dans beaucoup de pays, de la Colombie à l’Europe, la Bosnie en particulier, le Moyen-Orient également : l’Iraq, la Syrie mais aussi l’Afrique. Je présente un rapport du Secrétaire Général des Nations Unies sur cette question chaque année au Conseil de Sécurité des Nations Unies.

 

Cette année nous avons couvert 19 situations (19 pays) et le Mali en fait partie. Notre travail au Mali couvre notamment les crimes qui ont été commis pendant la crise en particulier au nord du Mali. Notamment à Tombouctou, Kidal, Gao et Mopti. Nous sommes également très préoccupés par les violences sexuelles qui sont commises par les groupes extrémistes violents, qui ont institutionnalisé la brutalisation des femmes et des filles et utilisé les violences sexuelles comme une partie intégrante de leurs objectifs stratégiques. C’est devenu une partie intégrante de leurs économies politiques. Dans ce cadre nous suivons de très près les crimes commis par ces groupes extrémistes violents en Lybie, au Mali, au Nigeria, en Somalie, au Yémen, en Syrie et en Iraq.

 

Dans le cas du Mali, nous avons des preuves de crimes commis par Ansar-Dine, Mujao, AQMI. Nous avons également des preuves par rapport à des crimes commis par le MNLA et le Gatia. Il s’agit vraiment de ma première visite au Mali pour impliquer un certain nombre de parties prenantes, qu’il s’agisse de parties gouvernementales ou non gouvernementales. Pour écouter et pour tenter également d’obtenir un engagement de la part des autorités maliennes pour pouvoir faire face à cette problématique de violences sexuelles en période de conflit.

 

Il y a un certain nombre de points clés qui sont sorties de ces discussions. Le premier point c’est comment assurer des poursuites effectives à l’encontre de ceux qui ont commis ces crimes, en particulier au Nord du Mali, où il y a un problème lié au manque de présence des autorités. Le deuxième élément d’importance est la fourniture de services aux victimes de violences notamment sur le plan médical, psycho-social, légal et même économique. 

 

Nous sommes conscients qu’il y a souvent beaucoup de stigmatisation autour des violences sexuelles. Les victimes de violences sexuelles sont marginalisées, stigmatisées, parfois abandonnées même par leurs familles, donc le niveau de pauvreté augmente pour les victimes.

 

Un des domaines sur lequel il y a eu peu d’attention de la communauté internationale c’est la question des enfants qui sont nés des viols. Ils sont très souvent peu acceptés par la famille et par les communautés.  Au Moyen-Orient, nous avons aujourd’hui des dizaines de milliers d’enfants qui sont apatrides, parce que la législation souvent dans ces pays insiste pour que le père puisse enregistrer ses enfants. Donc on travaille sur cette question avec un certain nombre de partenaires, la Ligue Arabe que je viens de rencontrer tout récemment, également l’UNHCR et l’UNICEF. Nous pensons vraiment qu’il s’agit d’un problème grave et d’importance notamment dans les pays à tradition musulmane. C’est pour cela qu’il est très important d’impliquer les leaders religieux. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai rencontré des leaders religieux ici même ainsi que le ministère des affaires religieuses. Je viens d’ailleurs de revenir du Caire ou j’ai rencontré le Grand Cheick de l’université Al-Azhar avec qui j’ai pu discuter de ces questions et qui est vraiment la figure importante de la religion musulmane sunnite dans le monde.

 

Une des problématiques sur lesquelles j’ai travaillé cette semaine avec les différentes parties prenantes c’est vraiment la question du cadre législatif par rapport aux questions de violences sexuelles justement. Nous pensons que c’est un des domaines sur lesquels nous pouvons nous concentrer. De même qu’il est très important pour nous de travailler avec la Police pour nous assurer qu’elle mène des enquêtes sur ces crimes de violences sexuelles qu’elle collecte les preuves, qu’elle présente les preuves à un tribunal habilité pour nous assurer qu’il y ait une justice pour ces victimes de violences sexuelles. C’est un domaine sur lequel nous travaillons précisément, notamment en République démocratique du Congo, en Côte d’Ivoire, au Soudan du Sud et nous espérons que nous pourrons travailler sur cette question également ici au Mali.

 

Egalement sur le cadre législatif, nous travaillons étroitement en République démocratique du Congo, avec les autorités également en Côte d’ivoire, en Somalie, en Colombie pour nous assurer qu’il y a des reformes législatives effectives pour permettre de répondre à cette problématique.

 

Comme je viens de l’évoquer c’est ma première visite au Mali mais j’espère que ce ne sera pas la dernière. Je suis là vraiment pour écouter, pour échanger avec les autorités, les différentes parties prenantes, mieux comprendre le contexte et pouvoir apporter mon appui. Les collègues des Nations Unies ici présents ont fait un travail formidable jusque-là. Je suis vraiment là pour les appuyer, pour compléter les efforts qu’ils ont engagé et je suis consciente qu’il n’y a pas suffisamment de ressources sur la prise en charge des violences fondées sur le genre notamment et donc c’est un élément sur lequel je compte vraiment les appuyer.

 

J’espère pouvoir avoir l’opportunité de visiter un peu le pays, d’aller dans d’autres villes, puisque je suis là jusqu’à la fin de semaine. En particulier au Nord du Mali, pour être en mesure de parler à certaines victimes. Je vais rencontrer le Premier ministre cet après-midi. La Sous-secrétaire d’état américain aux affaires de sécurité civile, de droits humains et de démocratie, le Docteur Sarah Sewall me rejoindra cet après-midi et pourra participer avec moi à certaines réunions. Les Etats-Unis sont un partenaire clé pour le Mali et au niveau du Conseil de sécurité, les Etats-Unis ont un rôle clé au niveau du mandat sur les violences sexuelles en période de conflit. Comme je l’ai mentionné mon bureau a été créé par une résolution du Conseil de sécurité qui a été prise sous l’initiative des Etats-Unis, notamment d’Hillary Clinton à l’époque Secrétaire d’état qui a mené ce combat avec nous.

 

Les Etats Unis ont d’ailleurs été d’un appui très fort sur cette question au niveau de New York mais aussi au niveau global. Ils ont mis en place, notamment le Secrétaire d’état Kerry, un programme appelé ‘’Start’’ qui permet de répondre immédiatement en situation de crise à cette problématique et ils ont investi pour cela des dizaines de millions de dollars. 

 

Je suis très heureuse que Sarah Sewall puisse me rejoindre au cours de cette visite parce qu’elle nous appuiera dans le plaidoyer pour la mobilisation de ressources additionnelles pour répondre à cette problématique ici au Mali. Je vous remercie encore une fois.

 

Question des journalistes

 

Bonjour et merci beaucoup Madame Bangoura pour toutes ces informations. Moi j’ai deux questions.

 

Question 1 : Je voudrais savoir, vous avez parlé de cas de violences sexuelles venant de différents groupes, Gatia, MNLA, Ansar-Dine, Mujao, je voudrais que vous quantifiez le nombre de cas que vous avez recensé au Mali?

 

Question 2 : Je me demande aussi si les questions de violences sexuelles ont un lien avec les cas d’abus sexuels qui concernent les forces onusiennes dans d’autres pays comme la RCA, le Congo. Je voudrais savoir qu’en est-il au Mali par rapport à ces abus sexuels, ces cas de violences concernant les forces onusiennes ? Merci beaucoup

 

Madame Bangura : Merci beaucoup. Avec les problèmes des violences sexuelles et notamment la stigmatisation qui y est associée, on a beaucoup de difficultés à pourvoir avoir les femmes qui viennent rapporter ces crimes, puisque lorsque vous venez rapporter ces cas et bien vous êtes encore plus stigmatisés par la communauté. Et en autre dans les contextes où ces groupes opèrent souvent il y a l’insécurité qui fait qu’elles ne peuvent pas rapporter ces cas. Nous avons effectivement des chiffres et nous savons que ce sont des estimations très limitées parce que sur une femme qui documente et bien nous savons qu’il y en a au moins 20 ou 30 qui ont subi ces violences et qui ne viennent pas rapporter ces cas. Pour moi une femme qui est violée c’est déjà beaucoup, c’est déjà trop. Il ne s’agit pas d’un problème de chiffres  ou de nombres, le problème c’est l’acte, le crime. Il s’agit d’un crime de guerre, d’un crime contre l’humanité et dans certains cas il s’agit d’un élément constitutif de génocide. Nous avons des nombres au Mali mais comme je vous l’ai dit c’est très limité. Et ce sur quoi justement nous voulons appuyer c’est la fourniture, l’offre de service aux victimes de violences. Notre expérience c’est que dès lors que vous mettez en place des services et que les femmes savent que ces services sont disponibles et bien elles arrivent parce qu’elles savent qu’il y aura quelqu’un pour les recevoir et elles pourront avoir l’assistance requise. Toutefois je dois ajouter que les violences sexuelles ici au Mali ne sont pas à la hauteur du nombre de violences sexuelles qu’on a pu observer en RDC par exemple, en Syrie ou en Iraq. On ne va pas comparer. Mais en tout cas on sait qu’il y a des femmes victimes notamment à travers les ONGs qui leur ont offert des services.

 

Votre deuxième question par rapport à mon travail et à la question de l’exploitation sexuelle et des abus sexuels, à savoir si ces points sont connectés, c’est oui et non à la fois. Parce que je travaille principalement sur les parties aux conflits. Les groupes armés, les gouvernements qui combattent et c’est dans ce cadre-là qu’ils commettent des violences sexuelles et c’est sur cela que je me concentre.

 

Mais bien sur les cas d’exploitation sexuelle sont des cas de violences sexuelles mais pas nécessairement, pas toujours.

 

Dons il y a d’autres structures notamment au niveau du Département de maintien de la paix qui travaillent sur cette question. Mais avec l’augmentation des cas en République Centrafricaine, le Secrétaire général a restructuré la réponse au niveau même du siège des Nations Unies. Il a nommé une experte, une coordinatrice sur cette question qui a une longue expérience en matière de réponses militaires également de maintien de la paix. Il a mis en place dans ce cadre un comité pour travailler avec elle et je fais partie de ce comité. Mais ce qui est important de souligner est qu’il y a une résolution du Conseil de sécurité. La résolution adoptée l’année dernière, qui a un lien avec une liste qui est émise dans mon rapport annuel, dans le rapport annuel que l’on publie où l’on liste justement les parties au conflit qui sont suspectés d’avoir commis de tel acte. Cette année nous avons 45 parties au conflit qui sont listées dans mon rapport. Par exemple des armées nationales au niveau de la Syrie, de la RDC, donc un certain nombre d’acteurs qui sont listés, acteurs étatiques et non étatiques. Pour la première fois cette année nous avons nommé, listé les forces armées du Soudan. Donc si vous êtes sur notre liste et bien vous ne pouvez pas contribuer aux troupes de maintien de la paix, à moins que vous travailliez, coopériez avec nous pour ne plus être sur cette liste. SI vous êtes déjà dans les troupes de maintien de la paix, vous devez vous assurer avec nous de mettre en avant un certain nombre d’actions pour que vous soyez délaissé, pour que vous puissiez continuer à contribuer au maintien de la paix.  C’est pour cela que tout à l’heure j’ai répondu à votre question en disant oui et non à la fois, puisque ça affecte en effet les troupes qui contribuent au maintien de la paix, mais en même temps je dois souligner, rappeler qu’il y a une coordinatrice maintenant qui est à ce poste et qui travaille précisément sur cette question.  Par exemple désormais si un individu de mon pays, je vous donne l’exemple de mon pays la Sierra Leone, commet de tels actes, ben s’il n’y a pas de poursuites engagés à l’encontre de cette personne et bien toute la troupe sera retirée du pays. C’est comme cela qu’on a vu les troupes de la RDC retirées dans leur totalité de la RCA. En outre on utilise les salaires de ce qui commettent ce type de violences pour fournir des fonds de réparation aux victimes et je voudrais aussi ajouter que l‘UNICEF a mis en place un Fond important pour les victimes en RCA. C’est vraiment une priorité pour le Secrétaire général des Nations Unies et il fera tout et fera en sorte de répondre à cette problématique et de faire en sorte qu’elle ne se reproduise plus. Je vous remercie.

 

Bonjour, merci Madame Bangura. Ma question porte sur les leaders religieux, vous avez évoqué dans vos propos l’impaction des leaders religieux pour stagner ou pour mettre fin à ces violences sexuelles. Concrètement que peut être l’implication des leaders religieux et quel sera leur rôle ? Merci

 

Madame Bangura : J’ai un background d’activiste de la société civile, je suis musulmane moi-même et je viens d’Afrique. Je sais combien les leaders religieux ont un rôle important dans la société civile. Donc il est important qu’ils considèrent ces violences comme le crime qu’il est, qu’ils puissent condamner ces violences sexuelles et éduquer les gens, l’opinion publique et ce qui est encore plus crucial c’est qu’ils puissent aider à réduire la stigmatisation qui existe à l’encontre des victimes de violences sexuelles. Je vais vous donner l’exemple de l’Iraq avec la communauté Yazidi. Daesh a quidnappé environ 5000 jeunes filles et femmes en Iraq de la communauté Yazidi. Les Yazidi sont un groupe très traditionnel où les jeunes filles sont éduquées par rapport au fait qu’elles ne devraient avoir des relations qu’avec leurs époux.

 

Quand donc des filles, des femmes ont été quidnappées par Daesh et bien certaines d’entre elles se sont suicides du fait du stigma, parce qu’elles ne pouvaient plus faire face à leurs familles. Baba Cheick le leader spirituel de la communauté Yazidi, quand il s’est rendu compte de cette problématique, s’est exprimé publiquement sur la question et a appelé la communauté Yazidi en leur disant que ce sont nos filles et nous devons pouvoir les ramener chez nous, nous devons les accepter, nous devons les considérer comme des victimes. Et bien cela a changé la dynamique au niveau de la communauté Yazidi. Et bien ils ont fait en sorte ensuite de pouvoir ramener leurs filles à la maison, notamment en essayant de les racheter de Daesh. L’année passée il y a eu 35 à 45 millions de dollars qui ont été utilisé pour payer les rançons pour ramener les personnes qui avaient été enlevées par Daesh de la communauté Yazidi. Ils les ont reçus dans leur communauté, ils ont fait toute une cérémonie pour les accueillir de nouveau et pour qu’elles puissent réintégrer la communauté justement. Et aujourd’hui nous avons vu quelques milliers de Yazidi qui ont pu retourner chez elles. Certaines avaient tellement été affectées et traumatisées qu’elles ont du être installées en Allemagne à travers un programme d’appui lancé par l’Allemagne pour les appuyer, pour leur donner les services nécessaires. C’est un exemple positif qui démontre le rôle important des leaders religieux. Ce qui est important aussi de noter est que ces groupes extrémistes utilisent la religion et l’islam en particulier pour justifier les actes de violences sexuelles, la pratique de l’esclavage sexuel également. C’est pour cela que j’ai décidé de rencontrer le grand imam de l’université Al-Azhar pour discuter ensemble d’une possibilité de développer un contre argumentaire aux déclarations qui ont été émises par des groupes comme Daesh, comme Boko-Haram pour pouvoir avoir un contre narratif effectif et répondre à cela. Nous avons vraiment besoin dans ce contexte de leaders religieux pour qu’ils puissent s’exprimer à l’encontre de ce narratif développé par ces groupes extrémistes violents. Je vous remercie.