Un métier pour la Paix

4 avril 2022

Un métier pour la Paix

Un important projet de la MINUSMA a permis à 30 jeunes hommes et deux jeunes femmes des régions de Douentza, Bandiagara et Mopti, d’apprendre et d’exercer un métier. D’un coût global de près de 140 millions de francs CFA, ce projet d’une durée de sept mois doit contribuer à la réduction de la vulnérabilité socio-économique et à la résistance contre l’extrémisme violent et la radicalisation dans les communautés ciblées.

Entre les étincelles et le bruit stridant de la meuleuse, le vacarme des marteaux et le cliquetis du fer à souder, Allaye BARRY, scie à métaux en mains, découpe une pièce de métal qui servira à fabriquer une chaise. Trentenaire marié et père de trois enfants, originaire du village de Birga-peuhl, dans le cercle de Koro, région de Bandiagara, il est l’un des 32 jeunes bénéficiaires de ce projet de la MINUSMA pour l’autonomisation des jeunes des régions de Mopti, Douentza et Bandiagara. « Je ne peux décrire les avantages de ce projet pour moi tant ils sont nombreux. Je me suis fait des amis ici, j’ai pu apprendre de nouveaux savoirs, au-delà même du travail de menuiserie métallique dont je n’avais aucune notion mais aujourd’hui, Dieu merci, nous pouvons nous faire appeler menuisiers métalliques et nous voir comme des professionnels, Dieu merci, » explique sourire aux lèvres, le désormais menuisier métallique BARRY. 

Conçu pour servir un objectif : la paix

Initié par la Division des droits de l’Homme et de la Protection (DDHP) de la Mission de paix de l’ONU au Mali, ce projet s’intitule « Autonomisation des jeunes des régions de Mopti par la formation professionnelle et la sensibilisation aux droits de l’homme, à la démocratie et à la citoyenneté ». Son principe est simple : « contribuer à l’autonomisation des jeunes des communes choisies, par la formation dans divers corps de métier à forts revenus pour eux et par l’apprentissage de la démocratie, des droits de l’homme, de la citoyenneté ou encore des élections, » nous explique Alain NSUKU, chargé des droits de l’homme au bureau régional de la MINUSMA à Mopti. « De façon plus spécifique poursuit-il, nous les formons, les équipons et leur donnons les moyens de créer des revenus pour eux, leurs familles pour leurs communautés, afin de leur éviter la radicalisation ou de verser dans l’extrémisme violent et aussi et surtout de maintenir la paix et, là où il n’y a pas la paix, de revenir à la paix ou d’en créer les conditions ». Même s’il s’appuie sur la création de revenu, ce projet porté par la Division des droits de l’Homme et de la Protection de la MINUSMA, n’est pas un projet de développement mais de promotion des droits fondamentaux de l’être humain. Pour Nancy Bernadette MAKULU MUTOMBO de la Division des droits de l’Homme et de la Protection à Mopti, il s’agit plus précisément pour ce projet « d’expérimenter un modèle de stabilisation des communautés par l’insertion socio-professionnelle des bénéficiaires. Il permet de soutenir les droits socio-économiques des populations et à stabiliser les communautés affectées par ces conflits ».   

« Ce projet est né à la suite du constat que nous avons fait sur le terrain, à travers nos différents monitorings des droits de l’homme pour lesquels nous sommes en contact avec les populations, même les plus éloignées. Ainsi, nous avons pu identifier et recueillir leurs besoins. Il s’est avéré que le besoin le plus ardent au sein de ces communautés était l’emploi, » indique Amadou Bah, de la DDHP/Mopti. Avant d’entrer dans le "vif du projet", il a fallu déterminer quelles sont les localités "éligibles au projet". Collègue d’Amadou BAH, Fatoumata TOURE précise : « elles ont été choisies en fonction du critère de vulnérabilité et du risque lié à la présence de groupes radicaux qui sont susceptibles d’enrôler les jeunes, ».    

Inclusif, le choix des corps de métiers enseignés et des participants a été fait par les autorités coutumières et religieuses des communautés concernées. Une démarche qui permet de garantir que les savoir-faire enseignés servent efficacement aux bénéficiaires que sont les jeunes et leurs communautés. Ce qui, selon Hassan BARRY, le Chef de village de Birga-peuhl (mitoyen de Birga-dogon), dans la commune de Dougoutene I (cercle de Koro), est le cas : « Dès que nous avons été informés de la tenue du projet, j’ai réuni les notabilités peuhl et dogon des deux villages. Ensemble, nous avons choisi deux dogons et un peuhl pour y participer. L’un dans le cadre de la menuiserie métallique, l’un dans la mécanique moto et l’un dans la menuiserie bois ». 

Consolider la paix par l’autonomisation et le brassage

C’est à l’École technique Saint Joseph (ETJS) de Sévaré (Mopti) qu’a eu lieu cette formation. Dans l’immense cour qui abrite aussi une école fondamentale (primaire), se tiennent à la fois les cours théoriques et pratiques. C’est également là que six mois durant, ces 32 jeunes, dogons et peuhls pour la plupart, ont vécu internés. De quoi faciliter la réconciliation entre ces ressortissants de communautés qui, ces dernières années dans plusieurs localités du Centre du Mali, ont eu des conflits fratricides. « Le fait que nous les ayons rassemblés ici est quelque chose de bénéfique pour nous », explique l’Abbé Germain ARAMA, économe du Diocèse de Mopti. « Il fallait faire en sorte qu’il y ait un brassage. Pendant leur séjour, que ce soit dans les dortoirs, en classe ou pendant les repas, il ne fallait pas que les dogons soient seuls et que les peuhls soient seuls entre eux. Durant les premiers mois, décrit l’Abbé, nous leur avons appris comment il faut se comporter, comment il faut pardonner, comment accepter et donner le pardon à l’autre. C’était un moyen efficace pour qu’ils puissent s’entendre et être ensemble ». Pour le Chef de village de Birga-peuhl, ces efforts s’inscrivent dans la continuité des efforts de la MINUSMA pour la cohésion entre communautés dans la région et rappelle : « avant ce projet, avec la MINUSMA, nous nous sommes rendus à Birga pour des pourparlers entre dogons et peuhls. Ceux-ci avaient abouti à la fin des conflits entre nous. Aujourd’hui la paix, l’amour et la collaboration nous unissent, grâce à Dieu et la MINUSMA ». Oumar TOGO, jeune dogon de Birga-dogon apprenant la menuiserie bois, l’atteste en faisant cas de l’amitié qui le lie désormais avec Allaye BARRY, de Birga-peuhl. Pour ce dernier, l’importance de cette formation pour la paix et la cohésion sociale se situe à plusieurs niveaux. Selon lui, il est aussi clair que le fait d’avoir une activité génératrice de revenus permet de ne pas « être tenté de commettre des méfaits ».

Des bénéfices directs et collatéraux

Si le principal avantage de ce projet est d’avoir pu rapprocher les uns des autres des jeunes de différentes communautés et favoriser la cohésion entre eux, initiateurs, exécutants et bénéficiaires sont unanimes : il a d’autres impacts positifs.

Mopticienne de 39 ans, mariée et vivant avec un handicap moteur, Djénéba CAMARA, membre de l’association de personnes handicapées de Mopti « Sigui tè mogo son » ("l’immobilisme ne nourrit pas"), a intégré le projet à ce titre, à la suite du désistement tardif d’un autre bénéficiaire. Elle est l’une des deux femmes qui y participent. Personne à besoins spécifiques, elle se déplace grâce à un scooter à trois roues. Sans doute l’une des motivations de son choix d’apprentissage de la mécanique moto, avec la ferme ambition d’ouvrir un garage, grâce notamment au kit de démarrage qui lui sera remis à l’issue de sa formation. « C’est un travail qui me plait. Je peux le pratiquer assise et si ma moto tombe en panne je peux la réparer seule et bien sûr réparer celles des autres. Evidemment, si je dois soulever un moteur je demande de l’aide mais pour le réparer, pas besoin », nous explique-t-elle. Au moins deux raisons pouvaient faire craindre à Djénéba et sa camarade de la discrimination de la part des autres apprenants mais, « ils ne nous ont pas discriminés, ils ne nous ont pas exclus, au contraire ils ne nous voient ni comme des femmes, ni comme des handicapées. Ils nous voient juste comme leurs égales et nous ont traité comme telles, » nous a-t-elle dit avant de préciser qu’à la maison, elle bénéficie aussi du soutien moral de son mari. Ce respect des apprentis pour la diversité est à la fois dû aux conditions de leur internement marqué par un véritable brassage, ainsi qu’aux formations qu’ils ont suivi sur les droits de l’homme. En effet, citoyenneté mais aussi droits fondamentaux, y compris des femmes et des enfants, figuraient en bonnes places parmi les enseignements dispensés.    

Pour le Chef du village Birga-peuhl, c’est également une aubaine au plan économique. « Avant pour une porte en fer, un lit, une armoire ou une simple table en bois, il fallait commander à 20 ou 50 kilomètres du village. Avec le transport, le coût de ces meubles pouvait être exorbitant, ce qui ne sera plus le cas désormais. Aujourd’hui, grâce à Dieu et à la MINUSMA, nous n’aurons plus ce problème. Entre les villages de Birga Peuhl et Birga Dogon, nous avons un menuisier métallique et un menuisier bois, » se réjouit-il. L’abbé Germain ARAMA, administrateur de l’ETJS va plus loin : « Avant, l’ETJS pouvait accueillir jusqu’à 2600 élèves. Depuis quelques années, l’Etat n’y oriente plus d’élèves. Ce projet a permis que l’activité d’apprentissage reprenne… Depuis que les jeunes ont entamé la phase de production des meubles, ils enregistrent déjà des commandes. Par ailleurs, comme nous les avons hébergés, cela génère également pour nous quelques revenus, modestes certes mais appréciables. Je peux donc dire que ce projet a « redonné vie » à l’ETJS, » a conclu l’homme d’église.

Des objectifs atteints

Officiellement remis le 31 mars 2022 par la Cheffe du Bureau régional de la MINUSMA aux bénéficiaires, en présence du Gouverneur de la Région, le projet est, de l’avis de toutes et tous, une réussite.

Apprenants, partenaires d’exécution, représentants des communautés et autorités n’ont pas manqué de le souligner lors de la cérémonie de remise. Le Gouverneur de la région de Mopti, le Colonel-major Abass DEMBELE c’est dit « émerveillé ». Pour lui, « qu’un projet puisse former des gens sur une trame de six mois et à l’issue, les outiller dans des domaines d’avenir, cela est vraiment remarquable ». Tout en félicitant la MINUSMA « pour son accompagnement, pour avoir joué sa partition à hauteur de souhait, ne serait-ce que pour notre région, » le Gouverneur souligne que « toutes ces formations et ces équipements que l’on vient de donner aux apprenants, nous prouvent à suffisance que les solutions à la crise ne sont pas que sécuritaires. Cela permettra de renforcer la résilience des populations et de réduire par conséquent le vivier de recrutement des groupes de crime organisé ou de terroristes. Bravo et merci une fois de plus à la MINNUSMA, » a-t-il conclu.

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De son côté, Fatou DIENG THIAM, Cheffe du Bureau régional de la MINUSMA à Mopti, rappelant le contexte et les objets du projet, a tenu à remercier les apprenants, les partenaires d’exécution et les autorités « qui ont appuyé la mise en œuvre de ce projet qui a duré sept mois et dont on peut dire avec satisfaction, que les objectifs ont été atteints. Il nous reste maintenant à intensifier nos efforts, pour que chacune et chacun, à notre niveau, puisse relever les défis posés et rendre pérennes les acquis de ce projet, » a-t-elle déclaré. Rendant un hommage appuyé à la Direction et au corps professoral de l’ETJS, Mme THIAM s’est adressée aux nouveaux professionnels. « Je voudrais féliciter les heureux bénéficiaires de ce projet et vous exhorter à capitaliser les différentes formations et pratiques dont vous venez de bénéficier, ainsi que le kit d’insertion pour relever le défis du chômage, changer votre model de socialisation et votre adhésion aux valeurs démocratiques et l’autonomie financière et ainsi, rendre pérenne ce projet, pour votre inclusion socio-économique, afin de jouer pleinement votre rôle dans l’édification de la paix et de la cohésion sociale ».