Handicapés en détention : comment mieux prendre en compte leurs besoins spécifiques ?

14 décembre 2015

Handicapés en détention : comment mieux prendre en compte leurs besoins spécifiques ?

Les 3 et 4 décembre dernier a été célébrée à Bamako, la Journée Internationale des personnes vivant avec un handicap. Placée sous le signe des personnes handicapées en milieu carcéral, une visite en prison et une table ronde, ont marqué la 23ème édition de cette journée, initiées par la Division des droits de l’Homme de la MINUSMA et parrainées par le Ministre des Affaires Religieuses et des Cultes.

 

En 1992, l’ONU a décrété le 3 décembre, Journée internationale des personnes vivant avec un handicap ou personnes à besoins spécifiques. A l’instar des autres journées internationales, celle-ci a aussi pour objet de mettre en lumière une cause : celle de ces personnes handicapées et dont il faut tenir compte de la spécificité des besoins.

 

Au Mali, la Journée Internationale des Handicapés, édition 2015, a été placée sous le signe des personnes à besoins spécifiques dans le cadre de la détention. Autrement dit : des personnes handicapées en prison. La Division des droits de l’Homme de la MINUSMA, représentant le Haut-commissariat des droits de l’Homme de l’ONU au Mali, a donc initié deux activités majeures pour marquer cette journée : une table ronde précédée de la visite de la Maison Centrale d’Arrêt de Bamako. Une visite qui a permis à Monsieur Guillaume Ngefa, Directeur de la Division des droits de l’Homme de la MINUSMA et Représentant du Haut-Commissaire des droits de l’Homme de l’ONU au Mali, de dresser un tableau de la situation : « en rendant cette visite, nous nous sommes focalisés sur les personnes à besoins spécifiques, les détenus qui sont soit des malades mentaux, soit qui ont des handicaps moteurs. Sur une population estimée entre 1800 et 2000 détenus, nous avons recensé 17 personnes à besoins spécifiques, dont deux personnes handicapées moteurs. Nous avons pu évaluer leurs besoins spécifiques, nous avons fait des recommandations particulières au gouvernement qui y a été très sensible, surtout que le Ministère de la Justice (à travers son représentant ndlr) et le Ministre des Affaires Religieuses et des Cultes étaient là pour le représenter  … »

Justement, Monsieur Thierno Amadou Hass Diallo, Ministre des Affaires Religieuses et du Culte, se définissant lui-même comme étant une personne à besoins spécifiques du fait de son albinisme, n’a pas hésité un seul instant lorsque la demande d’être le parrain de cet évènement, lui a été faite un mois auparavant. C’est dit-il : « un devoir auquel je ne peux me soustraire ». Ceci, en raison de sa condition spécifique, très tôt prise en compte non seulement par ses parents, mais également par celles et ceux qu’il a rencontré, tout au long de son cursus scolaire, de son parcours professionnel, mais aussi militant et politique. Le Ministre Diallo a conscience qu’il a eu beaucoup de chance. Une chance, qui lui a permis de créer la première association pour la prise en compte des besoins spécifiques des albinos en Afrique de l’Ouest et qui n’ont pas bénéficié des mêmes égards que lui. Un travail de fond qu’il explique avoir mené des années durant et dans lequel l’ont rejoint de nombreuses personnalités, dont l’artiste international malien Salif Keita. Autant d’efforts qui se traduisent aujourd’hui par une prise de conscience plus large des besoins spécifiques que peuvent avoir certaines personnes et ce, par les citoyens lambda mais aussi, au plus haut niveau de l’Etat. Par exemple, les contraintes liées à l’albinisme du Ministre Diallo sont pris en compte dans l’exercice de ses fonctions : « Quand le Chef de l’Etat rentre de voyage et qu’il faut l’accueillir à la descente de l’avion, ne supportant pas les expositions au soleil, je suis parfois exempté de ce rituel protocolaire. Par ailleurs, les dossiers qui me sont transmis au niveau du conseil des Ministres, le sont dans des tailles de police qui me permettent de les lire aisément. C’est cela la prise en compte des besoins spécifiques ».          

 

Pour le Directeur de la Division des droits de l’Homme, la prise en compte des besoins de ces personnes incarcérées est un droit fondamental. « Ce sont des êtres humains qui méritent aussi de bénéficier de conditions d’incarcération particulières. Par exemple, nous avons été frappés par cette personne, handicapée moteur, qui fréquente les mêmes toilettes que tout le monde et qui dit qu’il est obligé de marcher à quatre pattes, passez-moi l’expression, dans des conditions hygiéniques assez déplorables (…) On a remarqué aussi que des personnes qui ont des handicaps mentaux, bien que bénéficiant de la solidarité des autres détenus, ne bénéficient pas de l’accompagnement dont ils doivent faire l’objet, compte tenu de leur situation particulière », a tenu à rappeler Guillaume Ngefa. 

 

Quelles solutions ?

 

La visite à la Prison de Bamako, qui a eu lieu la veille de la Table Ronde à l’Hôtel Onomo de Bamako, devait donc permettre, de toucher du doigt les difficultés de ces personnes à besoins spécifiques avant d’en débattre. Deux heures durant, le Ministre Diallo et Monsieur Ngefa ont suivi le Directeur de la Maison Centrale d’Arrêt de Bamako, M. Sou Dao dans les dédales de la plus grande prison du Mali. Accompagné du personnel pénitentiaire mais aussi du médecin psychiatre, le Professeur Baba Koumaré, ils sont allés à la rencontre de handicapés moteurs mais aussi mentaux. A leur arrivée en prison, certaines personnes souffrent déjà de troubles mentaux, d’autres les contractent et les développent au cours de leur incarcération. D’où la nécessité de prendre des mesures avant et pendant l’incarcération, en pratiquant une visite médicale psychiatrique à l’entrée, pour définir l’état mental du détenu et des consultations régulières pour suivre son évolution. C’est entre autres ce que prône le Professeur Koumaré : « Quoi que l’on est fait, on doit rester un être humain (…) un des éléments essentiel de la santé globale selon l’OMS, c’est un état complet de bien-être physique, mental et social. Donc ces trois composantes doivent nécessairement être prises en compte chez chaque individu qui entre en prison. Une bonne organisation de notre milieu carcéral, prenant en compte ces différents aspects (...) Pour ces personnes, la prison doit être un lieu où l’espoir peut germer mais pas où il doit disparaitre définitivement. »   

 

Engagée pour le respect des droits humains à travers l’obtention de meilleures conditions de détention, l’association SOS Prisonniers Sans Frontières, rappelle quant à elle, que si la prise en charge des handicapés mentaux en prisons peut s’avérer difficile, compte tenu du manque de moyens humains et financiers, quelques aménagements pourraient permettre d’y faciliter la vie de ceux souffrant de handicaps moteur, qui, selon son secrétaire général, Nouhoum Cissé : « doivent être pris en charge de sorte que l’on puisse avoir le matériel adapté pour que ces personnes puissent se déplacer, que leurs toilettes soient adaptées à leurs conditions, que les lieux par lesquels ils doivent passer soient adaptés. Ceux-ci sont des besoins qu’il faut immédiatement prendre en charge ».      

Très pragmatique, car directement concerné, le Ministre Diallo simplifie la question en rappelant lors de la table ronde : « pour que les besoins soient mieux pris en compte, il est important de bien les identifier ».

 

Au terme de ces deux jours dont un consacré à la réflexion, plusieurs recommandations ont été émises par les experts et acteurs du secteur réunis lors de la Table Ronde, parmi lesquelles la soumission par le Mali de son rapport initial au Comité des Droits des Personnes Handicapées (CRPD), l’élaboration d’un cadre national sur la santé mentale,  l’amélioration de la communication sur la problématique, entre partenaires et à destination du grand public, l’amélioration de l’appui judiciaire et de la célérité de traitement des dossiers judiciaires ainsi que l’amélioration des conditions générales de détention.

 

Il apparait clair qu’au-delà des dispositions techniques, c’est l’identification des besoins, qui est « le » préalable au règlement d’une grande partie de la question de la prise en charge des personnes handicapées en milieu carcéral. Par ailleurs, il est tout aussi important de continuer à sensibiliser l’opinion publique, afin d’améliorer le quotidien de ces personnes dans notre société, en prison comme en liberté.