Le Chef de la MINUSMA, Mahamad Saleh Annadif, s’exprime sur la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Mali et la situation dans le centre du pays

11 avril 2019

Le Chef de la MINUSMA, Mahamad Saleh Annadif, s’exprime sur la réunion du Conseil de sécurité de l’ONU sur le Mali et la situation dans le centre du pays

06 Avril 2019

Mikado FM : Monsieur le Représentant spécial, bonjour, vous avez assisté à la réunion d’évaluation du Conseil de Sécurité sur le Mali à New York du 29 mars. Que peut on retenir des avancées notées par le Conseil sur le processus de paix malien ?

Mahamat Saleh Annadif : Vous savez que cette réunion du Conseil de sécurité est un rapport spécial. Vous le dites si bien, c’est sur les six derniers mois, depuis l’élection du Président de la république. C’était une évaluation à mi-parcours, puisqu’au mois de juin, nous allons avoir un débat sur la révision du mandat de la MINUSMA et devant toutes les lenteurs, que l’Accord a connu, le Secrétaire général a été interpellé pour présenter ce rapport. Globalement, il a fait un constat que depuis les 6 derniers mois, des progrès assez significatifs ont été opérés. Cela est important mais la conclusion est qu’on pourrait mieux faire. Et donc, on a encouragé le gouvernement pour dire qu’il y a des attentes. Ce qui est le plus important, c’est quand même la déclaration du Président du Conseil, 4 à 5 jours après le débat qui a retenu que trois choses doivent êtres faites, si nous voulons que l’examen du Conseil de sécurité en Juin se passe dans de bonnes conditions.

Mikado FM : Quelle sont ces trois choses ?

Mahamat Saleh Annadif : Nous avons demandé au gouvernement du Mali, de tout faire pour réussir la révision constitutionnelle et qu’elle soit la plus inclusive. Et là, j’aimerais vraiment lancer un appel à toutes les Maliennes et tous les Maliens pour leur dire que la révision constitutionnelle, ne doit pas être un blocage. Elle ne doit pas être perçue comme une demande venant de l’extérieur. Je suis les débats ici au Mali, la révision constitutionnelle est de plus en plus une demande collective malienne. Elle est utile pour l’ancrage démocratique du Mali. Plusieurs tentatives ont été faites, j’ose croire que celle-là, sera à la meilleure, puisque beaucoup de Maliens pensent que c’est une demande de l’extérieur. Et face à ce qui se passe au Mali, un consensus est plus que nécessaire autour de cette révision.

Le deuxième point qui est demandé, c’est par rapport au nord du Mali, où on déplore une absence de l’autorité de l’État. Et une présence non significative des forces de défense et de sécurité malienne et de l’administration, et bien le Conseil de sécurité dit : « Faites un effort pour qu’on puisse déployer d’ici le mois de juin, autant que possible, l’administration dans les régions du Nord ». On oublie que dans la région de Tombouctou, les forces de défense et l’administration sont présentes, tout comme dans la région de Ménaka, ou de Gao. C’est plutôt dans la région de Kidal qu’il y a encore un problème. Et on demande aux groupes signataires comme au gouvernement un effort supplémentaire pour qu’il y ait un déploiement.

Le troisième point, c’est que dans l’accord, l’article 33 de l’Accord pour la paix et la réconciliation, parle d’une zone de développement du nord. C’est un texte législatif qui doit être pris, et là encore, on demande, à l’évaluation du mois de juin, que ce texte soit pris. Je suis heureux d’apprendre que le texte est déjà dans le circuit administratif et que d’ici le mois de Juin, il soit pris en compte. C’est pour dire que le Conseil de sécurité, il faut le reconnaitre, est très indulgent avec le Mali. C’est le seul pays, malgré la multiplicité des conflits dans le monde, où toutes les résolutions sur le Mali ont été adoptées à l’unanimité. Espérons que ces attentes-là soient comblées et que la résolution du mois de Juin soit votée dans les mêmes conditions.

 

Mikado FM : Il y a des divergences au sein du Conseil de Sécurité. La France évoque des avancées dans l’accord malien mais les USA disent que cela ne bouge pas assez.  Comment concilier toutes ces positions ?

Mahamat Saleh Annadif ; Je peux vous dire que pour avoir discuté avec les Français, les Américains, mais aussi après avoir participé au débat, et je peux vous mettre à disposition la déclaration du Conseil de sécurité, il n’y a pas beaucoup de divergences. Ce que les français disent, c’est qu’il y a eu des avancées, des progrès, reconnaissons-le et encourageons les parties maliennes à faire plus. Les Américains disent, on a beaucoup attendu, on est conscient qu’il y a eu des progrès, mais on peut faire beaucoup plus. Maintenons la pression pour que quelque chose soit fait. C’est pourquoi je vous ai parlé de la déclaration du Conseil de sécurité. Le rapport du Secrétaire général est une chose, et le consensus à travers la déclaration du conseil en est une autre. Je vous ai parlé des trois exigences, réussir la révision constitutionnelle, redéployer autant que possible l’administration, accroitre la présence de l’armée dans cette région du nord, et créer la zone de développement, je trouve que ce n’est pas trop exagéré. Les Américains ont leur ton, leur façon de dire les choses, mais dans le fond, ils ont les mêmes exigences que d’autres.

Mikado FM : Le Premier ministre Boubeye Maiga a plaidé pour un maintien de la MINUSMA au Mali, face au contexte sécuritaire volatile, mais un plan de retrait avait été évoqué par le Conseil de sécurité pour mettre la pression. Est-ce toujours à l’ordre du jour ?

Mahamat Saleh Annadif : D’abord l’appréciation positive de la MINUSMA, c’est vrai, le Premier ministre en a fait cas. Au moment du plaidoyer de la MINUSMA, le chef de l’État malien l’a aussi évoqué et tous les 15 membres ont loué la présence de la MINUSMA, et reconnu la nécessité du maintien de la MINUSMA. Là ou les gens ne comprennent pas bien, ce n’est pas juste une question de retrait, c’est plutôt une situation de défi face à une situation qui se complexifie. Est-ce qu’il n’est pas temps de remodeler, de reconfigurer la MINUSMA ? C’est de l’empreinte dont il s’agit, il ne s’agit pas d’une remise en cause, mais d’une adaptation de la MINUSMA et j’ose croire qu’elle répondra aux attentes des membres du Conseil de sécurité.

Mikado FM : Monsieur le représentant, beaucoup se questionnent aujourd’hui sur l’utilité de la MINUSMA et particulièrement, son rôle de protection des civils face à ce qui se passe au Centre du Mali.

Mahamat Saleh Annadif ; Le constat général est que les Missions de paix, d’où qu’elles soient, n’ont jamais été populaires dans n’importe quel pays, c’est un constat général. Sur la perception de la MINUSMA, vous qui êtes un observateur averti, il suffit de penser à la perception d’il y a 4 ou 5 ans, elle était vraiment négative.

Mikado FM : Pire ?

Mahamat Saleh Annadif :  Elle était pire mais les choses ont commencé à évoluer et je suis un grand lecteur de la presse. J’interagis beaucoup avec la classe politique, la société civile. Je crois que la perception a évolué, et je donne raison aux Maliens. Leurs attentes sont nombreuses. Mais quelque soit ces attentes, la MINUSMA ne pourra pas répondre à toutes. Il faut que les Maliens prennent aussi leur part de responsabilité et c’est en cela que nous sommes interpellés et les derniers évènements nous le rappellent. La protection des civils qui fait partie de notre mandat, nous comptons l’assumer autant que possible. Depuis la semaine dernière, nous avons réfléchi à une intervention conjointe, avec les forces de défense et de sécurité malienne et la MINUSMA pour qu’on puisse mutualiser nos forces et nos capacités. Et quand vous entendez un concept d’opération au niveau du centre, on y avait déjà pensé, mais les derniers évènements d’Ogossagou nous ont interpellé. Et aujourd’hui nous avons commencé le déploiement, mutualiser nos forces. Nos capacités pour faire quoi, pour réaliser cet objectif de protection des civils. Comment faire ? Nous voulons couvrir toute cette zone du centre particulièrement Bankass, Koro, Bandiagara jusqu’à la frontière avec le Niger. Déployer autant que possible nos forces, d’abord pour rassurer la population. Pour lui dire que les forces de défense et de sécurité malienne, la MINUSMA sont présentes. Deuxièmement, sécuriser ces axes pour que les humanitaires puissent intervenir et secourir ces populations. Parce que nous sommes à la veille de l’hivernage, ces populations ont beaucoup perdu. Comment faire pour qu’ils ne puissent pas rater la saison qui va commencer. Ils n’ont pas de semences, de vivres, la saison de soudure va débuter. C’est pourquoi, il faut permettre aux humanitaires de venir.

Troisièmement, beaucoup de choses se sont passées depuis Janvier. Il y a eu beaucoup de morts. Il y a eu beaucoup de souffrances. Nous allons faciliter les choses pour que la chaine judicaire de l’état malien puisse se déployer et faire son travail. C’est pour cela qu’on a transporté le Procureur de la république plus de 3 fois, mais pour qu’on soit crédible, et audible auprès de ces populations qui attendent, on a besoin de savoir ce qui a été fait jusque-là. Et c’est en cela que nous disons au gouvernement, qu’est-ce que les enquêtes vous ont révélé ? Est-ce qu’il y a des suspects, des coupables ? C’est en cela que nous allons mutualiser nos forces.  Il y a également un autre aspect important, ce sont nos piliers civils. Il faut que les sections de la médiation, la réconciliation puissent également se déployer dans cette zone. Parce que c’est bien de sécuriser ces populations, c’est bien d’assurer l’aide humanitaire, mais ces populations sont appelées à vivre ensemble, il faut donc faire en sorte de les réconcilier, de faire de la médiation. Et donc vous, et c’est le 5e axe, vous avez également un rôle à jouer, de conscientisation pour dire à ces populations, et je l’avais dit à New York, on choisit son ami, mais on ne choisit pas son voisin. Ils sont appelés à vivre pour l’éternité ensemble, il faudrait qu’ils sachent se pardonner, qu’ils sachent se réconcilier. Et nous allons y contribuer, nous et les forces de défense et de sécurité maliennes.

Mikado FM : Est-ce que vous voulez dire que vous allez renforcer cette mission de bons offices. On parle beaucoup de divergences après ce qui s’est passé à Ogossagou. Que peut faire la MINUSMA de plus pour emmener ces communautés à mieux cohabiter ensemble ?

Mahamat Saleh Annadif : C’est pour cela que j’ai dit que nous allons être plus présent au niveau de nos piliers civils et de médiation. Depuis une semaine, le chef de notre unité Médiation et le chef de bureau de Mopti, sont sur le terrain pour comprendre et aider les populations à se réconcilier. Et il faut aussi mentionner notre unité « Droits de l’homme » qui fait des enquêtes, elle est déjà sur le terrain et c’est pour dire que nous sommes plus présents. Et désormais, nous allons avoir des unités militaires en permanence, a Bankass, à Koro, à Bandiagara et comme je l’ai dit dans le seul but de rassurer les populations. Car même pour pouvoir se parler, il faut être sécurisé, être rassuré, rester sur place, donc créer les conditions pour que le dialogue puisse s’instaurer

Mikado FM : Oui la MINUSMA produit des rapports avec sa section « Droits de l’homme », elle enquête, mais vous avez alerté sur de nouvelles attaques dans le cercle de Bandiagara. Comment prévenir et anticiper d’autres attaques comme Ogossagou ? Est-ce que les autorités maliennes tiennent compte de tous ces rapports et alertes que vous donnez ?

Mahamat Saleh Annadif : C’est vrai que nous discutons beaucoup plus depuis un certain temps avec les autorités maliennes. Ils sont eux aussi beaucoup plus conscients des insuffisances, et conscients du fait qu’on n’a pas pu prévenir ces massacres, mais nous interpellons également les populations pour qu’elles puissent être plus coopératives. Et depuis un certain temps, je crois que les choses ont commencé à bouger. Une prise de conscience commence à émerger. Et, c’est cet esprit qu’il faut à mon avis, renforcer, amplifier pour que notre voie soit audible, et crédible. Les populations attendent aussi cela, elles disent la même chose que vous dites : « Vous faites des enquêtes, vous dites que vous nous protégez, mais on attend d’abord de voir ». La question, c’est comment restaurer cette confiance entre les populations et les autorités maliennes, la MINUSMA et d’autres acteurs.

 

Mikado FM : Monsieur le Représentant Spécial, le mandat de la MINUSMA va être rediscuté en Juin. Qu’est-ce qui pourrait changer dans ce mandat, notamment pour le rendre plus efficace face à cette situation du centre du Mali ?

Mahamat Saleh Annadif : Seul le Conseil de sécurité est habilité à adopter la résolution qui va reconfigurer le mandat de la MINUSMA. Les membres du Conseil sont venus ici. Ils ont discuté avec les différents acteurs maliens. On ose croire qu’ils tireront la conclusion que la MINUSMA est encore utile pour le Mali. Maintenant, quels sont les réajustements qu’ils doivent opérer pour qu’il soit plus efficace ? Parce que nous devons aussi faire notre auto-critique. C’est vrai que nous étions une mission de paix mais qui s’est trouvé déployée dans un environnement complexifié par la présence des terroristes, complexifié par des conflits intercommunautaires qui sont souvent nourris et enrichis par les terroristes eux-mêmes.  Donc nous-mêmes, nous avons besoin de nous adapter à ce nouvel environnement et le Conseil de sécurité, je crois écoutera notre voix et créera les conditions pour une réadaptation, mais également fournira les moyens qu’il faut, les moyens aériens, les moyens d’anticipation au niveau des renseignements qui doivent s’en suivre. Je crois que nous sommes tous conscients qu’il faut se réadapter, se réajuster. On est face a une guerre asymétrique où l’ennemi est invisible, où l’ennemi est mobile, où l’ennemi n’a pas de frontières. Comment faire pour que nous nous adaptions à ce contexte ? Ce n’est pas facile. La guerre asymétrique, on sait quand elle commence, mais on ne sait jamais quand elle finit. La question, c’est comment être plus efficace et réunir les atouts pour rassurer la population?

 

Mikado FM : Que dites-vous à ceux qui disent que la MINUSMA devrait plutôt être une force d’imposition? Je pense à l’attaque récente du camp de Kidal, et qui rappelle à quel point l’environnement est très volatile.

Mahamat Saleh Annadif : Les résolutions qui jusque-là ont été adoptées. Nous, on demande d’être pro-actifs. Et si vous discutez aujourd’hui avec le commandant de la force, des secteurs, beaucoup d’efforts en termes de mobilité, ont été faits, de patrouilles à l’extérieur de nos camps. Ce changement de mentalité a déjà produit des résultats. Et malheureusement encore, les ennemis de la paix sont encore en train de faire des coups, des actions néfastes telles que celle contre le camp de Kidal. Ou quelqu’un reste à dix kilomètres, avec une moto, avec un téléphone et va jeter un engin pour attirer l’attention, même si cela n’a pas causé de dégâts et fait des morts. C’est quelque chose que nous devrons prendre en compte et je crois que beaucoup d’efforts en termes de proactivité, d’anticipation et de mobilité ont été faits et il faut continuer sur cette voie. On a eu au mois de Janvier, à Aguelhok, à Ber, Tombouctou, des encouragements et à mon tour, je félicite la MINUSMA et particulièrement sa composante civile et militaire pour tous les sacrifices qu’ils font et l’efficacité dont il fait preuve depuis un certain temps et je ne peux que les encourager et leur souhaiter bon courage et bonne chance.

Mikado FM : Monsieur le Représentant Spécial, dernière question. Que dites-vous aux Maliens pour qu’ils vous fassent davantage confiance sur le rôle et la présence de la MINUSMA au Mali ?

Mahamat Saleh Annadif :  Je crois que et  je voudrais d’abord dire à mes frères et sœurs maliens, que je suis de ceux qui reconnaissent que la situation n’est pas facile. On a quand même fait des choses positives et importantes. Nous avons réussi les élections qui se sont déroulées dans une ambiance que beaucoup de pays nous envient et qui ne sont même pas en guerre. C’est grâce aux Maliens que nous avons pu réussir cela et nos bons offices. Nous allons au cours de cette année 2019 avoir affaire au Référendum constitutionnel, aux élections législatives, et aux élections locales. Jose croire et j’ose compter sur l’esprit patriotique des Maliens pour qu’ensemble, nous réussissions tous les défis, afin qu’on puisse démentir ce qui se dit autour du Mali. Parce que quand j’entends mes frères et sœurs maliens dire aucun sacrifice n’est de trop pour le Mali. Je crois que le moment est venu pour avoir ce sursaut national malien pour que on ne puisse pas être une source de curiosité, d’inquiétude et de maux, mais plutôt pour qu’on puisse être une source d’espoir pour les Maliens et les Maliennes et ça, la classe politique a un rôle extrêmement important à jouer. Car lorsqu’on voit tout ce qui se dit et qui se passe, même pour ceux qui veulent maintenir le pouvoir, il faut que le Mali existe. Et si ce sursaut national ne vient pas, le Mali risque de connaitre des problèmes et personne n’a intérêt à ce que la situation empire. Et donc ce sursaut national est utile pour qu’ensemble nous puissions réussir la paix et la stabilité au Mali.

Monsieur le Représentant spécial, merci d’avoir répondu aux questions de Mikado FM

Propos recueillis par Mame Diarra DIOP