Verdir le désert

8 février 2023

Verdir le désert

Kidal, ville du grand nord désertique au Mali où il ne tombe en moyenne que moins de 200 mm de pluie par an. C’est moins qu’un verre d’eau pour un territoire de près de 10 000 km² et, malgré l’extrême fertilité du sol, impossible d’avoir une agriculture développée et variée. Lors des années exceptionnelles, la pluviométrie atteint à peine les 350 mm.

Si les températures sont clémentes de juillet à mars, elles peuvent descendre jusqu’à 10 degrés la nuit, et peuvent, de jour, monter jusqu’à 50 degrés le reste de l’année. Les Kidalois cultivent alors sur une période très courte allant de juin à septembre. Dans les oueds, de rares cultures maraîchères fleurissent à l’ombre des palmiers dattiers, grands consommateurs d’eau.

Mais le manque de pluie n’est pas le seul obstacle au développement de l’agriculture dans la région. L’insécurité empêche les cultivateurs d’arriver à leurs champs, entre mines et attaques directes contre les civils par des groupes armés. Une insécurité qui affecte aussi les Casques bleus de la MINUSMA, la Mission de paix des Nations unies au Mali : en 2022, rien que dans la région de Kidal, 32 attaques et actes hostiles contre les soldats de la paix ont été recensés.

C’est dans cet environnement que près de 2 000 Casques bleus civils et militaires de la MINUSMA ont cependant choisi de servir pour faire respecter les dispositions de l’Accord pour la paix et la sécurité au Mali, tel que mandaté par le Conseil de sécurité des Nations unies depuis 2013. Ils sont à 3 heures d’avion et 7 jours de trajet par la route de Bamako, la capitale du Mali.

La plante, le souvenir et le partage

Loin de leurs familles, dans un climat tendu, les Casques bleus n’ont pas manqué d’ingéniosité pour garder le moral et perpétuer leurs traditions. Les espaces verts du camp ont été transformés en potagers et chaque centimètre carré libre abrite une fleur, un arbre fruitier, une plante aromatique ou médicinale. Tout a été fait pour régulièrement et facilement convoquer les goûts et les odeurs qui leurs rappellent les amis, la famille, leur patrie.

C’est le cas de Pradap. Venu de l’Inde, ce fonctionnaire affecté à la protection du camp a semé une multitude d’épices et d’herbes aromatiques devant la chambre qu’il occupe. Elles sont certes utiles pour relever les plats qu’il aime cuisiner mais elles servent aussi à le rapprocher des siens, ne serait-ce que par la pensée ou les senteurs.

Le Chef du bureau régional de Kidal n’échappe pas à cette pratique. El Hadji Ibrahima Boly DIENE vient du Sénégal voisin. Il n’est pas dépaysé et connait bien ce climat semi-aride. Cependant, pour varier l’alimentation, il partage avec ses collègues les récoltes de son « mini périmètre maraicher ». Les différentes variétés de salades, les jujubes, les betteraves et autres légumes verts sont partagés avec tous. En effet, pas besoin d’autorisation pour y accéder, c’est justement là où, Nasser Ag Cheick, chargé de l’information publique, cueille tous les matins les feuilles de menthe qui agrémenteront son thé vert. Boly, comme tout le monde l’appelle, a aussi planté quelques épis de millet, histoire de se rappeler le « tièrè », ce couscous à grains fins si spécifique du Sénégal.

« Le jardinage est devenu contagieux » confirme Idrissa SALOU de l’unité chargée de la gestion du camp. « J’ai ramené du Niger des semis de fleurs et de plantes médicinales. J’ai planté une variété d’acacia qui traditionnellement soigne le paludisme et est aussi connue pour repousser les moustiques. J’ai toujours soigné le paludisme avec cette plante depuis ma plus tendre enfance. Aujourd’hui, beaucoup de collègues l’utilisent. La beauté dans tout cela c’est que chacun apporte un semis de son pays pour que tous en profitent finalement ». Dans l’unité dont il est chargé, Idrissa SALOU vient de recruter deux femmes kidaloises qui auront pour mission d’entretenir les espaces verts communs mais surtout, d’acquérir un savoir-faire qui pourrait leur être utile une fois de retour dans leurs communautés, comme l’a fait Hamadane CISSE. Recruté en 2019 comme jardinier journalier au camp de la MINUSMA, il est aujourd’hui considéré à Kidal comme un expert pour plusieurs espèces végétales et de maraichage, activité dans laquelle il s’est récemment lancé. « Ce travail me permet non seulement d’en savoir plus sur les techniques maraichères en me familiarisant avec de nouvelles variétés de produits mais aussi et surtout de mettre en pratique cette expérience au niveau des jardins de la ville de Kidal. En plus, cet emploi me permet de subvenir à mes besoins » se réjouit-il.

Cultiver dans le désert, c’est possible

D’autres comme Djibril NDIME, chef d’équipe de la section régionale chargée de la stabilisation et du relèvement, s’était juste lancé un défi. Celui de montrer qu’il est possible de cultiver et d’avoir des récoltes viables au milieux du désert. Le sien était de planter et récolter des citrons, des oranges ainsi que des grenades avec si peu d’eau. Les agrumes sont gourmands en eau, ce qui fait de l'arrosage un élément crucial pour que les plantes puissent pousser, se développer, fleurir et donner des fruits. Une petite récolte de citrons a eu lieu l’année dernière. Nombreux sont ceux qui ont les « les agrumes de Djibril » à l’œil. À propos de ce loisir, Djibril Ndime pense « qu’il faut s’occuper utilement pour soi et pour les autres. Il est important d’être un modèle pour le bien de toute la communauté ».

Son credo est en parfaite harmonie avec son rôle auprès de la section chargée de la stabilisation et du relèvement. « Je travaille pour la stabilisation avec des projets. C’est la raison pour laquelle, j’ai commencé à planter pour montrer à mes partenaires que c’est possible. Dans nos projets, il y a aussi l’arboriculture. Souvent, j’invite mes partenaires à passer voir mes arbres pour leur montrer que c’est possible. C’est d’ailleurs le cas d’une palmeraie située à 40km de Kidal et arrosée par un château d’eau dont l’installation a été financée par la MINUSMA en 2018. En 2022, son propriétaire a récolté une tonne de dattes de qualité supérieure. Avec les économies faites et les bénéfices de la vente de ses dattes, il perçoit aujourd’hui de manière tangible les « dividendes de la paix ». Il est désormais en mesure de prendre soin de la santé, de l’éducation et du bien-être de sa famille. Comme l’eau est disponible en bonne quantité, il fait aussi du maraîchage entre les rangées de palmiers-dattiers ».

Le pari de Djibril NDIME est réussi et ses efforts ont aussi inspiré son collègue Bertrand Roger TUINA, Chef du Centre régional des opérations conjointes. Son objectif était la protection et la préservation des sols en plantant le Delosperma cooperi, une plante succulente et rampante qui a le pouvoir de retenir l’humidité. Les belles fleurs blanches et violettes de cette plante permettent d’allier l’utile à l’agréable. « Planter un arbre ou reverdir la nature avec des fleurs c’est offrir un cadeau à la postérité. C’est dans cette optique, une de mes ambitions a toujours été de planter des arbres et/ou des fleurs afin d’offrir aux collègues qui viendront après moi, un cadre de vie et de travail beau et agréable. C’est le cadeau que je veux toujours laisser lorsque je quitte un lieu de travail » dit-il.

Même mantra pour Eric SEVOR pour qui l’écologie est une règle de vie. « Pour moi, la nature, c’est la vie » dit-il souvent à propos des efforts titanesques qu’il a déployé pour faire du camp de la MINUSMA une petite oasis où les neems, terminaliers, jujubiers ainsi que le basilic poussent désormais tout seul. Avec les petits points d’eau installés çà et là dans le camp, les oiseaux comme les abeilles peuvent polliniser les arbres fruitiers. En 2022, le camp a vu l’arrivée des premiers papillons. « Cet écosystème pourra être préservé grâce aux 222 m3 d’eau recyclée issues de l’unité de traitement des déchets liquides de la MINUSMA. Elle a été installée pour ne pas polluer le site sur lequel nous sommes implantés et ajouter aux risques environnementaux mais son utilité va bien au-delà de cela » rappelle Eric SEVOR.