Point de presse de Jean-Pierre Lacroix, Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix et Pedro Serrano, Secrétaire général adjoint du Service européen pour l’action extérieure, le vendredi 21 juin 2019

26 juin 2019

Point de presse de Jean-Pierre Lacroix, Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix et Pedro Serrano, Secrétaire général adjoint du Service européen pour l’action extérieure, le vendredi 21 juin 2019

Intervention de Jean-Pierre Lacroix, Secrétaire général adjoint aux opérations de maintien de la paix

« (…) Comme cela a été dit à l’instant, la visite que nous venons de faire est une visite conjointe de l’Union Européenne et des Nations Unies. Et nous avons voulu, à travers ce déplacement conjoint, montrer la solidarité de nos deux organisations, la volonté des deux organisations de renforcer notre action, notre engagement en soutien aux efforts des maliens de faire face aux défis graves auxquels le Mali est confronté. Et c’est dans cet esprit que nous avons passé trois jours à Bamako mais aussi en allant à Mopti.

Ce que je voudrais brièvement dire, c’est que d’une part il ne faut pas faire abstraction d’une situation au niveau de la région qui est préoccupante, qui se détériore. La réponse régionale, et même globale, aux défis régionaux est aussi indispensable. C’est la raison pour laquelle nous avons visité le quartier général de la Force du G5 Sahel. L’initiative du G5 Sahel est importante. Politiquement et aussi opérationnellement il doit être soutenu. Les attentes vis-à-vis du G5 Sahel ont toujours été fortes, quoi qu’il faille prendre les mesures des défis qui sont devant la concrétisation de cette initiative. La nécessité de renforcer le soutien à la Force conjointe, aussi à sa composante de police, la nécessité pour les pays du G5 Sahel à surmonter les difficultés qui sont compréhensibles, qui tiennent à la limitation des moyens, à la nécessité de faire travailler ensemble des forces qui doivent s’habituer à le faire.  En tout cas, nous avons voulu montrer que cette initiative du G5, cette force conjointe continuait de mériter tout notre appui. Je pense que le Mali joue un rôle très important, peut être un rôle central, d’abord parce qu’il est au cœur des défis sécuritaires et aussi parce que le quartier général de la force conjointe est localisé ici au Mali.

Bien sûr, les événements du Centre, les drames qui se sont produits ces derniers jours et ces dernières semaines, suscitent énormément d’émotions. Et nous avons voulu présenter nos condoléances mais aller plus loin évidemment ; écouter les plus hautes autorités mais aussi les représentants des communautés, la société civile, à Bamako et aussi à Mopti. 

Nous avons pris note avec beaucoup d’attention des nouvelles initiatives qui sont prises pour renforcer l’action politique au niveau du Gouvernement ; l’action politique pour trouver des solutions concrètes aux défis que connait le Centre aujourd’hui. Nous avons aussi encouragé les représentants des différentes communautés à s’engager au-delà des énormes frustrations que créent les massacres des dernières semaines. S’engager pour nous aider, aider les autorités à trouver des solutions concrètes et réalisables, aider aussi la communauté internationale, les Nations Unies, l’Union Européenne à soutenir ces efforts.

Pour ce qui concerne la MINUSMA, vous savez le Conseil de sécurité des Nations Unies est en train de débattre de l’extension du Mandat de cette opération et nous avons déjà renforcé notre action dans le Centre dans un cadre général qui est celui de moyens limités et qui ne s’accroîtront pas pour être réaliste sur ce point, parce que nos Etats membres aujourd’hui mettent beaucoup de pression sur les moyens de la MINUSMA, les moyens humains, les moyens budgétaires, de même qu’ils mettent beaucoup de pression sur l’ensemble des moyens de toutes les opérations de maintien de la paix. Donc, nous allons, et nous avons déjà commencé à le faire, travailler à optimiser encore l’utilisation de ces moyens, aussi bien politique, que policier et militaire. Cette situation rend encore plus nécessaire le partenariat avec l’Union Européenne et avec les autres partenaires. Mais l’Union Européenne est le partenaire privilégié, je crois au Mali de la MINUSMA.

Enfin, je voudrais signaler que nous avons évidemment aussi parlé de l’Accord pour la paix, des attentes liées à la poursuite de la mise en œuvre de cet Accord. Il y a un certain nombre de progrès qui ont été enregistrés ces derniers mois, il y a des perspectives importantes sur le plan de la poursuite des réformes en matière de secteur de sécurité, le DDR accéléré, les réformes de plus long terme, et aussi la perspective de réforme institutionnelle importante, au centre desquelles cet accord de paix a une place importante. Et la perspective dans ce contexte d’un dialogue national inclusif est extrêmement critique. Nous avons noté la manière dont se préparait ce dialogue, l’importance qui doit être accordée à cette inclusivité. Je crois que les Maliens ont aussi énormément besoin de se parler, dialoguer. Ce n’est pas moi qui le dis, ce sont tous les interlocuteurs qui me l’ont dit. Et donc je me permets seulement de relayer devant vous cette soif de dialogue qui a été exprimée par tous ceux que nous avons rencontrés.

Soyez en tout cas assurés, mesdames et messieurs de la presse, que les Nations Unies, et je peux parler sur ce point au nom de l’UE, sont déterminées à poursuivre leur engagement. La situation le demande. C’est une situation qui est évidemment critique pour le Mali, pour la région mais au-delà je crois pour l’ensemble de la communauté internationale. Je vous remercie. 

Intervention de Pedro Serrano, Secrétaire général adjoint du Service européen pour l’action extérieure (SEAE)

 « (…….)  Il y a peu à ajouter sur ce que vient de dire mon ami et collègue, M. Lacroix. Je souscris pleinement à tout ce qui vient d’être dit. Pour l’UE, c’est une visite qui marque un partenariat très fort avec les Nations Unies et un partenariat avec le Mali et le Sahel. Avec les Nations Unies, l’Union Européenne est engagée sur de multiples dossiers, également sur de multiples théâtres de crises dans lesquels nous travaillons pour la paix et la stabilité dans le monde mais je crois pouvoir dire que le Mali est l’un des théâtres où nous sommes conjointement les plus engagés, et engagés ensemble. C’est-à-dire que nous travaillons avec la MINUSMA, nos opérations travaillent avec la MINUSMA. Les efforts que nous faisons dans le développement, et les messages politiques et l’engagement des dialogues politiques avec les instances maliennes sont faites aussi d’une façon coordonnée avec les Nations Unies. C’est les mêmes messages en fait que nous envoyons, tant au Gouvernement qu’aux instances politiques et la société civile malienne.

Cette visite se passe à un moment particulièrement important et grave, je pourrais dire, où la situation sécuritaire au Mali s’aggrave, particulièrement au Centre du Mali. On a, au niveau de l’Union Européenne, un véritable désir de voir comment on peut s’engager davantage, et aider davantage le Mali à sortir de cette crise, à faire face à cette situation de violence au Centre, rétablir la stabilité, l’ordre, l’Etat, le développement au centre du Mali. Et donc toutes les rencontres que nous avons eu ces derniers jours ont eu pour but de clarifier, évidemment en premier lieu avec les plus hautes autorités de l’Etat, et nous avons été reçus par le Président de la république, le Premier ministre, le ministre des Affaires étrangères, la Défense et autres. Je les remercie pour leur accueil et les discussions très franches ; également avec des autorités politiques y compris de l’opposition, et également j’étends mes remerciements. Mais nous avons aussi dialogué avec la société civile à Mopti avec les représentants du centre du Mali et aussi avec des représentants de femmes qui ont certainement un rôle à jouer dans une sortie de crise et qui sont parmi les plus grands victimes de la violence qu’il faut continuer à protéger.

L’ensemble de toutes ces rencontres nous ont permis d’avoir une idée plus complexe de ce qui se passe et de voir comment nous devons façonner notre engagement avec le Mali, en coopération avec les Nations Unies pour s’assurer que nous travaillons en pleine synergie et éviter toute sorte de duplication.  

Comme le disait Lacroix, nous avons également visité le quartier-général de la force conjointe et je tiens ici à souligner qu’en fait, quelques-unes des  problématiques qui affectent le Mali ne sont pas seulement un problème pour le Mali mais répondent  également à des dynamiques régionales auxquelles il faut aussi faire face et je tiens à saluer aussi les efforts du G5 Sahel pour justement rassembler toutes les forces et les énergies de la région et du pouvoir étatique pour répondre  à ces menaces. Des menaces terroristes et criminelles qui menacent la région et qui continuent à s’étendre. On voit comment la crise s’étend au Burkina Faso, même au-delà des frontières du G5. Ici la force conjointe a sans doute un rôle à jouer, et également en tant qu’élément catalyseur de cette coordination régionale. Le travail qui est fait est très important et l’Union Européenne s’efforce de continuer à augmenter cet appui au G5 Sahel et à la force conjointe également. Donc le travail est devant nous tous, un travail important au Mali.

Monsieur Lacroix s’est référé à la soif de ces dialogues et effectivement tous nos interlocuteurs s’en sont référés. Le Gouvernement a mis en place maintenant des mécanismes nouveaux pour affronter la crise au Centre. Des progrès ont été faits, à travers une feuille de route sur la mise en œuvre de l’Accord du Nord. Donc il y a quand même une dynamique, un élan politique sur lequel il faut continuer à avancer. Mais pour que cet avancement soit, aussi faut-il faire que nous le souhaitons tous évidemment, ça doit se faire dans un dialogue politique, un dialogue social important qui a été appelé de tout côté.

L’Union Européenne continuera à maintenir cet engagement. La sécurité du Mali est stratégiquement importante pour la région et au-delà de la région également, même pour la sécurité de l’Europe.  Je remercie donc tous ceux qui nous ont écouté, qui nous ont aussi éclairé et qui nous ont accueilli à bras ouverts. Nous nous efforcerons donc à continuer à appuyer le Mali dans cette sortie de crise en étroite coordination et coopération avec les Nations Unies.  

Merci beaucoup

Questions/Réponses

Journal l’Independent :

Première question par rapport au G5 Sahel. Vous avez eu à rappeler le rôle crucial que le G5 Sahel joue pour la sécurité de la région et au-delà même de l’Europe. Jusqu’à présent la même force conjointe est confronté à un de problème de moyens. Les engagements pris n’ont toujours pas été honorés pour que cette Force puisse travailler comme il le faut pour assurer cette sécurité. Qu’est-ce que l’Union Européenne ou l’ONU attendent pour vraiment aider cette force comme il le faut ? Et pourquoi ne pas aller plus loin en la dotant d’un Mandat onusien pour faire bien ce travail ?

Deuxième question c’est par rapport au renouvellement du prochain Mandat de la MINUSMA. Les débats sont en cours. Vous avez eu à parler de la crise au niveau du Centre. Est-ce que dans ce renouvellement on peut s’attendre à un Mandat beaucoup plus robuste, beaucoup plus fort, beaucoup plus offensive ? Le problème du Mali n’est pas un problème de stabilisation ou de maintien de la paix. Les groupes qui sont là et qui agissent – est ce qu’il ne sera pas bon aujourd’hui de renforcer vraiment le Mandat de la MINUSMA en lui dotant des moyens qu’il faut pour aller traquer ces terroristes qui sont en train de rendre la paix impossible dans cette région ?

Journal ‘Le Bercail’ :

Au-delà de tout ce que vous venez de dire, concrètement qu’est-ce qu’on peut retenir de cette visite que vous avez eu à faire à Bamako et dans le Centre ?

Autre question, c’est un constat, comme tout citoyen, à chaque fois qu’on pense que le Mandat de la MINUSMA arrive à terme, les massacres et attaques s’accroissent. Qu’est-ce qui explique cela concrètement ? Je suis du Centre et depuis plus de plus de quatre années il n’y a plus d’école, des centres de santé et chaque fois qu’on nous avons constaté que le mandat de la MINUSMA arrive à terme les massacres s’accroissent. Qu’est-ce qui explique cela ? Et comme il a expliqué, dans votre Mandat, quelles sont les dispositions qui avaient été prises ? Je ne sais pas si c’est une coïncidence, mais à chaque fois que le Mandat de la MINUSMA arrive à terme on s’attend à des atrocités. Comment cela s’explique concrètement ?

TV5 Monde

Mes collègues ont évoqué le Centre, donc je vais être beaucoup plus court. M. Lacroix, vous avez évoqué cette volonté de dialogue de l’ensemble de la classe politique et de la société civile. Je viens d’une manifestation tout à l’heure où j’ai rencontré des élus locaux, qui parlent de dialogue avec les djihadistes comme une condition sine qua non pour mettre fin à cette crise dans le Centre du Mali. Est-ce que l’ONU serait en mesure d’appuyer ce type de dialogue avec des anciens ennemis, ce qu’on appelle des djihadistes dans l’ensemble du pays ?

Réponses :

Lacroix : D’abord il y a une question sur le G5. Je crois qu’il y a eu beaucoup d’attente lorsque l’initiative du G5 a démarré, et peut être des attentes qui étaient en décalage avec ce qui peut être obtenu à court terme et même à moyen terme. Vous le savez, nous les Nations Unies, nous avons plaidé pour qu’il y est un financement pérenne donné au G5 à travers des contributions obligatoires. C’est toujours notre position, ça n’a pas été possible, le Conseil de sécurité est divisé sur ce point, je pense qu’il ne faut pas en déduire pour autant que la question du G5 aujourd’hui se réduit à un problème de moyens. Même si encore une fois notre position là-dessus est très claire.

Certes, nous souhaitons que les moyens promis pour cette Force soient mis en œuvre, je pense qu’il y a un certain nombre de promesses dans ce domaine qui sont en train de se matérialiser, il faut aussi tenir compte du fait qu’il y a parfois eu des lenteurs, d’ailleurs de part  et d’autre j’allais dire, mais plus profondément il s’agit aussi d’Etats dont les forces armées ont elles-mêmes des difficultés et énormément de défis dans leurs propres pays qui d’ailleurs pour certains d’entre eux ne se limitent pas uniquement à la situation qui affecte le Mali.

Il y a aussi une relation à construire entre ces différentes forces armées, ces forces de sécurité, qui ne sont pas forcément habituées à travailler ensemble. Tout ça se construit. Donc, ce que je veux dire c’est qu’aucune formule simple, aucune raison particulière à elle seule n’explique le fait que peut être qu’aujourd’hui les résultats obtenus ne soient pas à hauteur des attentes.

Encore une fois je pense que les attentes ont peut-être été à un moment très fortes, peut être en décalage, mais pour autant, il faut – comme je le disait, continuer à soutenir résolument l’initiative du G5, qui a une énorme signification politique, et soutenir également la force conjointe et sa composante police, et sa composante état de droit.

Nous sommes convaincus, et je crois que l’Union Européenne aussi, qu’avec la poursuite de ces efforts par les pays du G5, par les partenaires, il y aura une valeur ajoutée opérationnelle, et notamment d’ailleurs dans ce secteur Centre, secteur de trois frontières, où la situation est très très préoccupante, et où cette situation a beaucoup d’impact sur le Centre du Mali.

Deuxièmement, le Mandat de la MINUSMA – d’abord la MINUSMA est robuste. Elle contribue de manière, je crois, décisive à maintenir l’unité du Mali. Lorsque la ville d’Aguelhok a fait l’objet d’une attaque extrêmement complexe de la part de groupes armés, attaque qui visait à conquérir la ville d’Aguelhok, ça veut dire à la mettre entre les mains des groupes armés, c’est la MINUSMA qui a repoussé cette attaque. Nous avons eu sept morts d’ailleurs, auxquels je rends hommage, je rends hommage aux soldats tchadiens. C’est à cause de cette réponse musclée qu’Aguelhok est aujourd’hui sous le contrôle des forces légitimes, des forces de la MINUSMA qui travaillent avec les autorités maliennes.  

Je crois qu’il ne faut pas minimiser ce rôle central et cette capacité de robustesse. Je veux aussi souligner que la MINUSMA a été créée pour répondre à la problématique du Nord et soutenir la mise en œuvre de l’Accord pour la paix qui concerne le Nord. Et aujourd’hui il y a cette situation dans le Centre. Nos moyens, je l’ai dis, ils ne seront pas augmentés. Donc notre défi est comment faire mieux, comment faire plus pour aider les Maliens à renverser cette tendance dans le Centre ?

Et là je crois qu’il faut être concret et pragmatique. L’essentiel c’est de mutualiser nos moyens, l’essentiel c’est le retour graduel des Forces de sécurité, des Forces armées maliennes, le retour de l’État c’est notre but premier, et l’essentiel aussi c’est de parvenir à mieux prévenir ces menaces et comment le faire. Nous avons beaucoup parlé de mutualiser les renseignements et l’information et parce que la prévention, elle, est plus efficace, quand elle est bien organisée, que la réaction ; et parce qu’on ne peut pas mettre des Casques bleus dans tous les villages ou derrière chaque citoyen du Centre. Ce n’est pas possible.

Nous avons réfléchir aux moyens de mutualiser nos capacités, s’agissant notamment de la collecte d’information que nous permettent de détecter et de prévenir ces menaces, s’agissant aussi du renforcement des capacités de la police et des forces armes, des activités dans lesquelles nous sommes impliqués mais l’Union Européenne est également fortement impliquée ; comment renforcer aussi la justice pour qu’il n’y a pas d’impunité, pour que ceux qui se sont rendus responsables de ces actes puissent répondre de ces actes devant les tribunaux.

Et puis, la MINUSMA a déjà commencé à le faire – comment créer des espaces de sécurité pour permettre à l’État de revenir, et aussi au service à la population, de revenir, y compris d’ailleurs les humanitaires, l’aide de nos partenaires des agences humanitaires, l’aide des ONG.

La MINUSMA a lancé plusieurs opérations dans ce sens, dans le Centre. Là où elles ont été lancées on a eu des résultats. Ça n’occulte pas évidement la tragédie, ou les tragédies qui se sont produites, mais ça veut dire qu’il peut y avoir des réponses. Il peut y avoir des réponses mais ça nécessite de faire preuve d’unité.

Je crois que cette volonté de faire plus avec nous - elle est manifeste de la part des interlocuteurs que nous avons eu au Gouvernement. Il y a un momentun politique, une réalisation aussi, je crois, traduite par des initiatives qui ont été prises par le Gouvernement qu’il faut passer à la vitesse supérieure, et nous, nous sommes déterminés à accompagner ce mouvement.

Alors, quels sont nos partenaires, avec qui pouvons-nous dialoguer ? Je crois d’abord qu’il faut s’inscrire dans le cadre des engagements du Gouvernement malien. Ces engagements c’est l’Accord pour la paix notamment, et aussi des partenaires de cet accord, les mouvement signataires.

Aujourd’hui l’Accord pour la paix reste central. Et la nécessité de faire avancer sa mise en œuvre reste centrale. Saurions-nous, est-ce que c’est vraiment le moment d’ouvrir cette perspective face à des forces d’abord qui n’ont pas forcement, uniquement, comment je dirais, des racines, des intérêts purement maliens, mais aussi, on les voit qu’ils sont très actifs pour mettre en danger les perspectives de paix, et aussi qui sont très actifs pour nuire à la population. Ça pose quand-même énormément des questions.

Je crois qu’aujourd’hui nous devrons continuer à nous inscrire dans le soutien à la mise en œuvre de l’Accord pour la paix, nous devons continuer à nous inscrire dans le soutien aux efforts qui connaissent une nouvelle dynamique pour répondre au la tragédie du Centre. Nous faisons avec de souci de partenariat très étroit d’abord avec les autorités maliennes, avec les communautés sur place, et en partenariat aussi avec l’Union Européenne.

Pedro Serrano : De mon côté je voudrais souligner l’appui de l’Union Européenne au G5 Sahel depuis son début, et à la force conjointe également. L’année dernière l’Union Européenne a organisé à Bruxelles une grande conférence internationale justement pour recueillir des appuis et de financement pour la force conjointe.

Et en fait, le financement qui a été octroyé par l’Union Européenne était un des plus importants, autour de 100 millions d’euros. Il a déjà engagé en plus des 80 pour cent, la plupart des équipements sont en train d’arriver. Il y a eu, je ne veux pas le cacher, des problèmes, disons comme on le dit en anglais, « teething problems », des problèmes de dentition initiale, de part et d’autre pour comprendre quels sont les mécanismes – des problèmes de rodage en fait. Je pense que nous avons surmonté cette période et que maintenant, le mécanisme – encore une fois, de part et d’autre – fonctionne mieux, et, en tout cas, plus de 80% de ce qui avait été offert est déjà engagé, en cours de livraison, sinon déjà livré. Donc ça avance correctement.

La force conjointe demeure un effort régional considérable et comme je disais avant, c’est vraiment un catalyseur de coopération régionale, qui va aider tous les pays de la région à mieux avancer dans la lutte contre un phénomène terroriste, et un phénomène de crime organisé qui ne connait pas de frontières.

Il est clair que cette force conjointe doit travailler avec les Forces de sécurité et défenses de chacun des pays du G5. De notre côté, nous avons aussi reformulé les Mandats des opérations des missions que nous avons de conseil et formations des forces armées ici au Mali et des formations des forces de sécurités au Mali au Niger, pour pouvoir aussi soutenir la force conjointe, nous avons à établir un centre de coordination de cette aide à Nouakchott, auprès du secrétariat permanent du G5. Nous entendons soutenir également d’autres composantes sécuritaires du G5 y compris des écoles de formation de défense et sécurité, qui existent ici à Bamako, et également à Nouakchott et à Ndjamena. Donc tout ça est en cours et l’Union Européenne continuera son appui à ses efforts que nous trouvons essentiels pour pouvoir vraiment aborder la problématique régionale de cette crise.

En tant que résultats concrets de cette mission conjointe que nous venons de conduire, évidement nous avons recueilli beaucoup d’informations.

Je n’occulte pas que le Centre du Mali a été vraiment un point focal de notre intérêt et comment soutenir davantage les efforts qui vont être déployés. Qu’est-ce que nous pouvons faire à travers notre mission que nous avons ici, en coopération étroite avec la MINUSMA, pour assurer que le maximum de synergie soit employé, que nos ressources à nous tous, qui sont malgré tout limitées, soient employées de la façon la plus efficace au bénéfice de la stabilisation du centre du Mali. Nous devons retourner vers nos États membres pour en discuter plus longuement avec eux, mais examiner le besoin d’aider dans la justice criminelle, en particulier les investigations. Nous allons voir ce que nous pouvons faire aussi pour soutenir le déploiement des forces de sécurité qui est très important à rendre la confiance à la population, assurer une judiciarisation du traitement des activités criminelles brutales qui ont lieu dans cette région en ce moment. Et voir comment nous pouvons soutenir des efforts pour le retour des services de base dans la région puisque le développement et la sécurité vont ensemble. Je dois maintenant retourner vers nos États membres, discuter de la situation, discuter davantage avec les autorités maliennes et continuer la discussion également avec nos amis des Nations Unies pour voir comment on peut déployer de la façon la plus efficace possible notre soutien à la stabilisation du centre du Mali. »

Le Figaro du Mali :  Vu l’évolution de la situation au centre du Mali, est-ce qu’il est question de parler de l’échec de la MINUSMA? Ils sont plusieurs de nos concitoyens à ne pas comprendre, malgré une forte présence des forces étrangères au Mali qui sont là pour la stabilisation du Mali, que le centre s’embrase ?

Mahamat S. Annadif, Représentant spécial du Secrétaire général, Chef de la MINUSMA : Il y a eu le responsable du journal « Le Bercail » qui avait posé la question de savoir pourquoi à chaque fois qu’on arrive au terme du Mandat de la MINUSMA, les massacres reprennent. Ça insinue beaucoup de choses, mais je voudrais quand même dire que les massacres ont commencé depuis longtemps. Ils se sont poursuivis. Je ne veux pas faire ce décompte macabre, mais Koulongo, c’est le 1er janvier, Aguelhok le 20 janvier, Ogossagou c’est le 23 mars, Guiré et Dioura,…   Or le mandat de la MINUSMA avait à peine six mois. Je crois qu’il n’y a pas de lien entre ce qui s’est passé, que nous déplorons, et nous disons qu’il faut arrêter la spirale de la violence, et le Mandat de la MINUSMA. J’estime qu’il n’est pas bon de les lier, comme si on veut justifier la MINUSMA par des tueries. Ce n’est pas bon que ça puisse être ancré dans la mémoire des uns et des autres.

Maintenant, il y a cette question qui parle d’échec de la MINUSMA. Je crois que s’il y a échec, c’est que nous avons tous échoué. Personne, à ce stade, ne peut dire « j’ai réussi ou j’ai échoué. » Mais moi personnellement je dis tout simplement que la MINUSMA a un mandat, je sais depuis que je suis là que les attentes du Malien lambda, comme vous l’avez dit, sont au-delà du Mandat de la MINUSMA. Le citoyen lambda estime tout simplement qu’il faut une force d’imposition de la paix pour lutter contre les terroristes. Nous, notre Mandat c’est un mandat de stabilisation du Mali. À partir du moment où il y a ce péché originel que j’ai toujours évoqué, expliqué, continuons plutôt à parler, mais à partir du moment où nous sommes là et qu’il y a toujours des morts, nous considérons que nous avons tous échoués. Et le premier échec est celui des Maliens d’abord.

Journal du Mali : Avec le renouvellement du Mandat de la MINUSMA en vue, est-ce qu’on peut s’attendre à un renforcement de la Mission au centre, dans les zones où il y a assez de violences comme l’avait plaidé le ministre malien des Affaires étrangères devant le Conseil de sécurité ?

Mahamat Saleh Annadif : J’ai dirigé une Mission en Somalie. C’est une mission de l’Union africaine déployée depuis 2007 qui a eu un mandat d’imposition de la paix, de lutte contre les terroristes. Je déplore que jusque-là les Chebabs continuent quand même de faire des massacres.  Je crois que le phénomène terroriste est un phénomène mondial, régional. Il demande une réponse globale. Je ne pense pas qu’en dissociant le fait que les Maliens doivent s’impliquer va plutôt donner raison à la MINUSMA ou à quelqu’un d’autre. Ensemble, luttons pour que ce phénomène, ces tueries puissent s’arrêter.

La Lettre du Mali : Les écoles sont fermées et tout ce qu’il y a comme administration a déserté certaines zones. Si la MINUSMA est là, c’est pour avoir des « aléas ». Qu’est-ce qu’il faut faire pour récupérer ces zones-là ? Pour que ces enfants puissent aller à l’école…?

Il y a quelques semaines, nous avons assisté au renouvellement du Mandat des élus. Le ras-le-bol de la population est là. Je voudrai savoir quels sont les efforts de la MINUSMA pour que cette situation puisse être résolue ?

Mahamat Saleh Annadif :

Pour la mise en œuvre de l’Accord, je crois qu’on a de la chance qu’il y a un « accord. » D’autres le cherchent, ils ne le trouvent pas. Il n’y a pas un accord parfait. Cet Accord, aussi imparfait soit-il, est préférable à la continuation de la guerre. Qu’il y ait des difficultés, je sais que la crise est complexe, l’Accord en lui-même est complexe, continuons à discuter. Sa mise en œuvre est indispensable. Aujourd’hui, c’est le seul élément qui a au moins le mérite d’esquisser des solutions pour retrouver la paix au Mali. 

Sauvegardons-le !

Jean-Pierre Lacroix : Je crois qu’à travers les discussions qui viennent d’avoir lieu, il y a une réalité qui est que les défis auxquels le Mali est confronté sont multiples et complexes. Il y a le terrorisme et il appelle une réponse de contreterrorisme qui est difficile. M. Annadif a parlé tout à l’heure de l’AMISOM avec des effectifs beaucoup plus nombreux d’ailleurs que la MINUSMA et qui lutte toujours depuis plus de dix ans contre les Shebab avec quelques résultats, mais en tout cas sans les avoir éliminés. Je pense que ce défi du terrorisme, il est présent. Il y a aussi des dimensions proprement maliennes aux difficultés de votre pays. À la fois s’agissant de la situation du Nord, également du Centre. Face à cette réalité complexe, ce qui est important, c’est d’utiliser tous les partenariats, tous les outils. Mais au départ, c’est d’abord les solutions maliennes. Et l’Accord pour la paix est une solution malienne même si effectivement il est compliqué et sa mise en œuvre elle-même est complexe et difficile. Il y a aussi une nécessité d’une réponse malienne aux crises du Centre même s’il y a l’impact du facteur terroriste à ne pas négliger. Mais chacun a son rôle. N’essayons pas de considérer qu’il y a une baguette magique quelque part qui peut s’appeler MINUSMA ou qui pourrait s’appeler Union Européenne ou qui pourrait s’appeler « dix fois plus de moyens financiers aujourd’hui pour le G5 Sahel. » Non ! Il y a un ensemble de partenaires, d’outils qui doivent tous être mobilisés.

Sur le plan sécuritaire, d’abord le renforcement de capacités de l’État, des FAMa, des forces de sécurité, du judiciaire, le renforcement des initiatives politiques pour trouver des solutions aux rivalités, aux tensions qui se sont exacerbées entre les communautés. Les efforts en matière de développement et de l’aide humanitaire aussi sont indispensables. Donc tous ces outils, tous ces partenariats aujourd’hui doivent être mobilisés au service des efforts qui sont déployés par les Maliens eux-mêmes. Et aujourd’hui, il y a de nouvelles initiatives qui sont prises s’agissant notamment du Centre sur lesquelles nous voulons nous appuyer pour déployer nos efforts.

Pedro Serrano : Je crois que la visite vient à point nommé, après une session du Comité de suivi de l’Accord (CSA) de haut niveau qui a permis, sans aucun doute comme tous les CSA de haut niveau, de faire avancer l’Accord. Et là, je rejoins ce qui a été dit par M. Annadif. Effectivement, ils m’ont presque dit qu’il n’y a pas de plan B à l’Accord. Cet accord est peut-être imparfait, il l’est certainement, mais c’est ce qu’on a. Il faut travailler avec. À ce CSA de haut niveau, nous avons vu carrément ce message de consensus qu’on essaie d’imprimer, qui existe malgré tout : les trois parties maliennes parlent d’une seule voix. C’est ce qui est important. Ceci a déjà été fait quand ils sont venus d’ailleurs à Bruxelles. Devant les États membres, ils ont exposé leur volonté de faire avancer l’Accord et ils ont parlé d’une seule voix. Nous savons que l’Accord a beaucoup de retard, mais ce sont des impulsions telles que celles-là qui vont le permettre d’avancer. Nous croyons à ça. Nous travaillons à ça, très étroitement avec les Nations Unies, avec les autres membres de la médiation. Indiscutablement, nous avons une volonté d’aller de l’avant. Nous avons des difficultés, mais nous avons une volonté d’aller de l’avant. C’est un engagement énorme que nous avons pris. L’UE a d’ailleurs annoncé un engagement financier pour le CSA. Ce qui veut dire indiscutablement que nous croyons à cela et nous devons aller dans ce sens car il n’y a pas d’autres voies possibles sans aucun doute. Voilà ce que je voulais dire quant à l’Accord et quant à la volonté coopération que l’UE donne sans aucun doute à cet important processus qui doit mener à la paix, la sécurité et le développement au Mali.